La maison individuelle, un rêve de moins en moins accessible : « Difficile de construire en dessous de 250.000 euros »
Entre les Français et la maison individuelle, c’est une histoire d’amour qui dure. Ces sentiments se sont même renforcés lors de la pandémie. En janvier 2022, un sondage de la fédération des constructeurs de maisons individuelles et de l’Ifop l’a confirmé : « 80 % des Français préfèrent vivre en maison individuelle plutôt qu’en appartement ». Longtemps, « faire construire » sa maison a constitué une possibilité d’accéder à la propriété et à l’habitat individuel pour les familles, même modestes.
Fin brutale de l’euphorieLe leader français de la construction individuelle, Hexaom, propose aujourd’hui des maisons à 155.000 euros HT, sans le foncier ni les aménagements intérieurs. « En France, il est désormais difficile de construire en dessous de 250.000 euros » , concède le directeur général d’Hexaom Loïc Vandromme.
Dans les grandes agglomérations, le ticket d’entrée est bien plus élevé. « On a dû répercuter la hausse des coûts en relevant nos prix de 30 % », indique le directeur général d’Hexaom.
Le pavillon à 250.000 ou 300.000 euros, ça « met sur la touche une bonne partie des classes populaires et même des classes moyennes », constate le sociologue Matthieu Gateau (1), de l’Université de Bourgogne.
Autant de candidats à l’accession qui sont confrontés à de « nouveaux obstacles pour devenir propriétaire qui n’étaient pas là il y a cinq ou dix ans », confirme l’économiste Alain Trannoy (2), professeur à l’université d’Aix-Marseille.
En 2022, le marché de la construction neuve est brutalement sorti de l’euphorie de « l’effet Covid ». Pénuries et hausse des coûts des matériaux, exigences de performances énergétiques renforcées (application de la Réglementation environnementale RE 2020), accès au crédit immobilier plus restreint et taux relevés… « raréfaction des terrains disponibles en zone urbaine et périurbaine », ajoute à cette liste Alain Trannoy.
Cet été, la faillite du groupe Geoxia a lancé un signal fort. Ce groupe comprenait les Maisons Phénix, emblèmes dans les années 1970 et 1980 de la démocratisation du « pavillon ». Le pôle habitat de la fédération française du bâtiment a confirmé fin octobre une situation de crise : « les ventes de l’habitat individuel ont fléchi de 16,8 % sur 12 mois à fin août et de 28 % sur trois mois », a annoncé Grégory Monod, président de la FNB-habitat.
Le modèle du pavillon : « une impasse » ?Si le leader français Hexaom a pu conserver des bons résultats grâce à l’élan procuré par les chantiers lancés en 2021, Loïc Vandromme s’inquiète du fléchissement en 2022 : « On est à moins 23 % sur le nombre de commandes de maisons neuves, et à moins 10 % en valeur ». Hexaom, qui a construit 8.000 maisons en 2021, a su se diversifier : « On est sur la rénovation depuis 2015, mais là aussi la hausse de 30 % des matériaux freine les clients ».
La hausse des matériaux provoque une flambée du coût final. photo stephanie para.
Le sociologue Matthieu Gateau envisage un éventuel basculement de la demande.
« Les nouvelles générations se posent des questions sur l’éloignement, l’accès aux services, le coût écologique et peuvent se tourner vers des appartements récents bien équipés ».
Or, le « collectif neuf » est aussi à la peine. « -9 % en 2022 », signale la FNB.
Le pavillonnaire périurbain a souvent été érigé en « idéal » des Français. Un peu vite selon Matthieu Gateau : « C’est un arbitrage. C’est un rapport qualité prix intéressant pour des couples avec enfants mais qui s’accompagne de fortes contraintes, notamment en termes de mobilité ».
Politiquement, la priorité est désormais donnée à la densification du bâti, comme l’avait exprimé sans ambages la ministre du Logement de Jean Castex, Emmanuelle Wargon : « Le modèle du pavillon avec jardin n’est plus soutenable et mène à une impasse ».
Le lotissement, un modèle qui évolue aussi. La question de la mobilité devient déterminante. Photo R Brunel Position qui avait suscité un certain émoi dans les entreprises du Bâtiment :
« Les constructeurs qui installent des clients à 50 km de la grande ville sur des terrains de 1.500 mètres carrés, c’est un cliché de bobos parisiens, c’est fini depuis longtemps »
« On fait déjà des maisons à étages, avec moins de surface sur des terrains plus petits », ajoute-t-il .
Pas de « crise du désir mais de la réalisation »Les acheteurs aisés (et notamment ceux qui sont déjà détenteurs d’un bien) sont également présents sur le marché de l’ancien. « Les maisons de ville sont des biens rares et recherchés dans les grandes agglomérations. Les prix et le coût de la rénovation les rendent également inaccessibles aux ménages modestes », constate Matthieu Gateau.
Le bâtiment se maintient en Limousin ( novembre 2022)
L’espace des possibles se rétrécit mais les besoins de logement et l’envie restent. Pour le professeur d’économie Alain Trannoy : « Nous ne sommes pas dans une crise du désir de maison individuelle, mais de la réalisation […] La chute a été très brutale et cela risque de durer ».
Julien Rapegno
(1) Matthieu Gateau, Hervé Marchal, La France pavillonnaire. Enjeux et défis. Éditions Bréal. (2) Le grand retour de la terre dans les patrimoines d’Alain Trannoy et Étienne Wasmer. Editions Odile Jacob.