Meta : ce que révèle le tournant militaire de Mark Zuckerberg
De la "guerre informationnelle" à la guerre tout court ? Chez le géant des réseaux sociaux Meta, deux récents deals marquent un tournant stratégique. D’abord, un partenariat annoncé fin mai avec Anduril, une start-up technologique spécialisée dans la défense, pour la conception de casques et lunettes de réalité mixte à destination des soldats. Ces appareils supposés fournir "des solutions technologiques immersives qui améliorent la prise de décision tactique dans les scénarios de combat". Quelques mois plus tôt, Anduril avait décroché un contrat de 22 milliards de dollars auprès du Pentagone. "J’ai réussi à persuader non seulement Meta, mais beaucoup d’autres, qu’il est important de travailler avec l’armée", s’est vanté dans la presse américaine le fondateur d’Anduril, Palmer Luckey, 32 ans, un proche du libertarien Peter Thiel (Palantir).
Il y a quelques jours, la société mère de Facebook a également investi environ 14 milliards de dollars dans Scale AI, et possède désormais 49 % de cette compagnie experte dans l’étiquetage des données - l’annotation manuelle de données permettant d’optimiser les performances des IA. Un business plus agnostique que celui d'Anduril ; Scale AI a notamment accompagné les progrès des véhicules autonomes et fournit, depuis, les leaders du marché de l’IA actuels à l’instar d’OpenAI. Sauf qu’en mars Scale AI a ajouté le Département de la Défense (DoD) à ses clients, cette fois, en vue de la création "d’agents IA" spécifiques à ses besoins. Meta, au passage, a enrôlé le créateur de Scale AI, Alexandr Wang, 28 ans seulement. Un visage bien connu à Washington et à Arlington, où se dresse le siège en forme d’hexagone du DoD. Il dirigera un laboratoire dédié à la création d'une "super-intelligence".
Rivalité chinoise
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche joue évidemment un rôle dans ce virage de Meta. Le républicain a promis d’augmenter le budget de la Défense et, sous l’influence initiale d’Elon Musk, de réallouer certains contrats au profit des entreprises innovantes. Meta essaye par ailleurs, depuis l’élection de Donald Trump, de s’attirer ses faveurs. Le rapprochement avec Palmer Luckey, appui du président milliardaire depuis son tout premier mandat, est une nouvelle démonstration de loyauté. Zuckerberg avait éjecté le jeune homme de sa société en 2017, quelques années après avoir racheté sa start-up de réalité virtuelle Oculus (fondue dans la division Meta Quest). Wang n’est pas en reste : il faisait parti du petit contingent des représentants de la tech à l’investiture de Donald Trump. Une cérémonie qui tenait lieu d’adoubement.
Il y a cependant des motifs plus profonds. Les grandes entreprises orientées vers le grand public, comme les GAFAM, se sont longtemps tenues à distance des usages militaires de leurs technologies. Google avait par exemple renoncé à un contrat massif (projet Maven) après des plaintes de ses employés, en 2018. Microsoft avait connu le même genre de fronde interne. Les lignes bougent avec la révolution IA : la Silicon Valley, qui s’est historiquement développée grâce au complexe militaro-industriel américain, opère un retour aux sources. Les jeunes et puissantes start-up du milieu, telles Anthropic ou encore OpenAI, n’ont pas hésité à s’engager avec le Pentagone. Les autres suivent : Google a discrètement levé le tabou de l’utilisation militaire de ses technologies en 2024. Meta, déjà avec Scale AI, a adapté Llama, son IA maison, aux besoins des militaires.
L’intelligence artificielle est perçue comme une technologie décisive dans le face-à-face entre les Etats-Unis et la Chine, rappelant parfois la guerre froide avec la Russie. Alexandr Wang en est l'un des experts les plus convaincus. Ce dernier répète souvent à quel point il avait été frappé, lors de sa visite en Chine en 2018, par les capacités du pays dans la reconnaissance faciale (un des domaines de l’IA). "L’humanité entre dans une nouvelle ère de "guerre active", dans laquelle nous verrons certaines des armées les plus puissantes du monde battues par des rivaux qui sont mieux à même d’exploiter des IA agents - des systèmes intelligents autonomes qui peuvent effectuer une multitude de tâches", a-t-il récemment écrit dans une tribune publie dans The Economist. Son histoire personnelle nourrit cette verve : Wang, qui a créé Scale AI à 19 ans, en 2016, est le fils de deux physiciens de Los Alamos, une ville où a été conçue la première bombe nucléaire par Robert Oppenheimer. Le développement d’une IA a des similitudes, à ses yeux, avec le "projet Manhattan". Il est désormais la figure de proue de l’IA, chez Meta.