"Les diplomates étrangers ne vont pas prendre le RER..." : le drôle de déménagement du Quai d'Orsay à Saint-Denis

C’est une délocalisation qui déplaît. Depuis quelques semaines, près de 400 agents du ministère des Affaires Étrangères ont pris leurs quartiers au 7 rue Ampère, à Saint-Denis, dans l’imposant centre d’affaires Spallis, près de l’ancien village olympique, coincé entre l’autoroute A86 et le périphérique parisien.

Durée annoncée : cinq ans minimum. Le temps de rénover une partie des locaux du Quai d’Orsay devenus "invivables" selon une source de la CFTC du ministère des Affaires étrangères. Les locaux, trop vieux, n’étaient plus aux normes. "Il fallait vraiment faire quelque chose. On avait des bureaux avec des cloisons obsolètes, des cages d’incendie hors service, des agents à trois dans des espaces trop exigus", explique le syndicaliste. Les travaux ont d’ores et déjà commencé.

Seuls les bureaux du Quai d’Orsay sont concernés par les rénovations. Les agents affectés à d’autres sites parisiens ont été surpris d’être également priés de faire leurs valises. "Ils ne comprenaient pas pourquoi ils devaient partir", rapporte la même source syndicale.

Ce ne sont ni les diplomates, ni les directions les plus politiques qui déménagent, mais une partie des services dits "supports" qui laissent leur place à Paris : la direction des affaires immobilières, la délégation aux affaires sociales, la direction de la coopération de sécurité et de défense, ainsi que la direction générale de la coopération internationale.

Ce départ du cœur de Paris vers la banlieue nord soulève bien plus que des questions d’intendance. Il ravive un vieux spectre au Quai d’Orsay : celui du déclassement symbolique d’une diplomatie habituée à opérer dans le cadre prestigieux des ors de la République.

C’est la deuxième fois que le ministère connaît pareille secousse. En 2009, le déménagement des archives diplomatiques à La Courneuve avait déjà provoqué une levée de boucliers. Beaucoup y avaient vu une tentative masquée de délocalisation de l’appareil diplomatique sous couvert de rationalisation immobilière. "Bercy a toujours considéré que le Quai d’Orsay était la danseuse de la République", soupire la CFTC.

Pas de diplomates dans le 93

Parmi les raisons évoquées, celle de libérer de l’espace pour les directions les plus politiques, demeurant dans Paris intra-muros. "On ne peut pas accueillir des diplomates à Saint-Denis", tranche le représentant syndical de la CFTC. Selon lui, ce n’est pas une question de mépris territorial, mais bien de logistique, de sécurité et de standing. "On ne va pas demander aux diplomates étrangers de prendre le RER jusqu’à Spallis". Au risque d’alimenter "la lutte des classes".

Si certains agents du nord parisien y trouvent leur compte, la majorité y voit une rupture dans leur équilibre professionnel. "C’est très loin, c’est compliqué de s’organiser". L’impact logistique de cette dispersion des services n’a pas échappé aux syndicats : "On était déjà un ministère éclaté sur trois sites. Là, on en rajoute un quatrième qui va concerner 400 agents, c’est beaucoup", pointe Antoine Starcky, représentant du syndicat CFDT au Quai d’Orsay, qui se dit inquiet pour la coordination et la cohésion du travail.

La brutalité du calendrier accentue le malaise. "On a appris très tardivement le lieu et les modalités", déplore Antoine Starcky. "La communication a été très tardive, et beaucoup d’agents ont dû réorganiser leur vie personnelle, en quelques mois seulement". Certains ont même préféré changer de poste plutôt que de faire le trajet quotidien jusqu’à Saint-Denis. "Ce n’est pas la même chose de descendre aux Invalides que de traverser Paris jusqu’à Saint-Denis", commente le syndicaliste. D’autres ironisent : "Ce n’est que le prolongement de la ligne 13".

Lors d’une rencontre avec les syndicats le 8 novembre 2024, le ministre des Affaires Étrangères, Jean-Noël Barrot, a tenté de rassurer : "Ce n’est jamais agréable de déménager". Le ministre a surtout défendu un projet "indispensable" pour "réaliser les chantiers nécessaires" et "renforcer la capacité de rayonnement du ministère".

16 millions d’euros

Pour apaiser les tensions, l’administration met en avant la qualité des nouveaux locaux : 39 000 mètres carrés d’installations modernes, avec salles de réunion spacieuses, espaces de repos, restauration, et salle de sport. "Ce n’est pas l’enfer", relativise Antoine Starcky.

L’investissement est conséquent : 16 millions d’euros sur cinq ans, financés notamment grâce à la vente d’actifs immobiliers à l’étranger. À ce tarif, beaucoup doutent du caractère temporaire de l’opération.

À l’horizon 2029, les agents concernés sont censés réintégrer des bâtiments rénovés au cœur de la capitale. "On nous dit que c’est temporaire, mais qui peut garantir qu’on reviendra ?" interroge un syndicaliste. "À force de morceler les services, on risque de perdre en cohésion ce qu’on gagne en mètres carrés."