Comment Thierry Breton est devenu la bête noire européenne de Donald Trump
Son engagement pour une régulation stricte du numérique lui a valu une sanction aussi politique que spectaculaire. Thierry Breton, ancien commissaire européen au Marché intérieur, figure désormais sur une liste publiée mardi 23 décembre de personnalités européennes interdites de visa de séjour aux Etats-Unis. En cause : son rôle central dans la mise en œuvre des règles européennes encadrant les géants de la tech, qui ont profondément irrité Donald Trump.
Forte tête, Thierry Breton s’était imposé comme l’une des figures les plus visibles de l’ancienne Commission européenne. Son combat contre les abus de pouvoir des grandes plateformes l’a propulsé au rang de bête noire du président américain, engagé en cette fin d’année dans une offensive contre les réglementations européennes imposant aux plateformes des obligations strictes, notamment de signalement de contenus problématiques. Un récent mémo du département d’Etat, cité par la presse américaine, évoque d’ailleurs plus largement de nouvelles consignes visant à restreindre les visas pour des professionnels de la tech, en particulier ceux spécialisés dans la modération accusés de "censurer les Américains".
Shérif du "Far West" des géants de la tech
Plus concrètement, Washington semble avoir très mal digéré l’amende de 140 millions de dollars infligée début décembre par l’Union européenne à X, le réseau social d’Elon Musk, permis en partie par le travail de Thierry Breton lorsqu’il était Commissaire européen au Marché intérieur de 2019 à 2024. Pour l’administration Trump, ces sanctions relèvent d’une forme de "censure". "Depuis trop longtemps, les idéologues européens mènent des actions concertées pour contraindre les plateformes américaines à sanctionner des opinions auxquelles ils s’opposent", a dénoncé le chef de la diplomatie américaine Marco Rubio sur X, affirmant que les Etats-Unis ne toléreraient plus cette "censure extraterritoriale".
Thierry Breton a aussitôt réagi, dénonçant sur X un "vent de maccarthysme" aux Etats-Unis. Avant de rappeler que la législation européenne sur le numérique, le DSA, avait été adoptée par 90 % du Parlement européen et à l’unanimité des 27 Etats membres, soulignant sa légitimité démocratique.
Un vent de maccarthysme souffle-t-il à nouveau ? ????
— Thierry Breton (@ThierryBreton) December 23, 2025
Pour rappel : 90 % du Parlement européen — démocratiquement élu — et les 27 États membres à l’unanimité ont voté le DSA ????????
À nos amis américains : « La censure n’est pas là où vous le pensez. »
Inattendue, cette sanction remet en lumière l’activité intense de l’ancien commissaire à Bruxelles. De 2019 à 2024, Thierry Breton était omniprésent, Il s’est surtout fait connaître du grand public par sa lutte frontale contre les géants du numérique, avec un style direct et très politique. Chargé du numérique, il a piloté les enquêtes visant X, Meta ou TikTok pour la diffusion présumée de fausses informations et de discours de haine. Les textes phares du DSA et du DMA, destinés à encadrer Amazon, Apple, Google ou Meta, restent l’un de ses principaux faits d’armes de cet ancien ministre français de l’Economie. Ces deux textes imposent de nouvelles obligations pour en finir avec les abus de position dominante et le laisser-faire dans la diffusion de contenus illégaux. "L’internet ne peut rester un Far West", aimait-il résumer.
Prompt à sortir les gants de boxe
Habitué aux confrontations, Thierry Breton connaît déjà bien le terrain sur lequel le mène Donald Trump. Sur les réseaux sociaux lors de son temps à la Commission, ses échanges musclés avec Elon Musk — d’abord cordiaux, puis ouvertement conflictuels — avaient alors contribué à médiatiser ce bras de fer. Ancien patron d’Atos, il a été en 2019 l’un des premiers grands chefs d’entreprise à rejoindre la Commission européenne. Très présent dans les médias et sur les réseaux sociaux, il s’est rapidement construit une image de disrupteur, n’hésitant pas à sortir les gants de boxe, y compris contre certains collègues.
Il aura sans doute engagé le combat de trop au printemps 2024 en s’en prenant publiquement à la présidente Ursula von der Leyen, lors d’une polémique sur une nomination, alors qu'il avait pourtant longtemps eu son oreille. Se disant désavoué par la dirigeante allemande, il prend ensuite les devants en septembre 2024 en claquant avec fracas la porte de la Commission, laissant la place à Stéphane Séjourné, un fidèle d’Emmanuel Macron.
Il n’a pas pour autant perdu le soutien de l’Europe sur ce dossier. Des élus européens de tous bords ont dénoncé la sanction américaine, tandis que Paris a condamné "avec la plus grande fermeté" la restriction de visa. La Commission européenne a elle aussi condamné fermement les sanctions américaines et le successeur de Thierry Breton, Stéphane Séjourné, a fait part de sa "solidarité totale".