L’IA signifie la fin des emplois juniors
L’intelligence artificielle ne détruit pas l’emploi de manière uniforme. Elle frappe en priorité là où le marché du travail était historiquement le plus accessible : les postes d’entrée de carrière. C’est l’un des constats formulés par Richard R. Smith et Arafat Kabir dans le Wall Street Journal, à rebours du discours classique selon lequel l’automatisation menacerait d’abord les travailleurs les plus âgés.
Selon une enquête récente du Pew Research Center, plus de 50 % des actifs américains se disent inquiets de la manière dont l’IA pourrait être utilisée sur leur lieu de travail. Mais cette inquiétude est très inégalement répartie. Une enquête de Deutsche Bank publiée en septembre montre que 24 % des travailleurs de moins de 35 ans expriment une forte crainte de perdre leur emploi à cause de l’IA, contre seulement 10 % chez les plus de 55 ans. Une inversion notable par rapport aux précédentes ruptures technologiques, où les jeunes étaient généralement plus confiants.
L’IA automatise les tâches routinières – saisie, reporting, support opérationnel – qui constituent le socle des emplois juniors. Dans les secteurs les plus exposés à l’IA, les auteurs observent une hausse du chômage chez les 22–25 ans depuis 2022, alors même que l’emploi des travailleurs plus âgés reste plutôt stable. Autrement dit, le bas de l’échelle professionnelle se dérobe, tandis que les profils expérimentés, capables de combiner expertise métier et usage de l’IA, deviennent plus précieux. Pour les auteurs, il ne s’agit pas d’un simple gain de productivité redistribué au sein des entreprises. L’IA réduit directement le besoin de salariés débutants, sans pour autant diminuer le besoin de collaborateurs capables de superviser, d’optimiser et d’intégrer des systèmes automatisés dans des processus complexes.
Smith et Kabir ne plaident pas pour une intervention de l’État ou une protection des emplois juniors. Ils défendent, au contraire, une réorganisation interne des parcours professionnels. Cela impliquerait des trajectoires dites AI-native, où les jeunes commencent non par des tâches subalternes, mais par des rôles de supervision, d’évaluation et d’amélioration des outils d’IA, tout en développant leur expertise sectorielle. L’IA prendrait en charge le travail répétitif, pendant que les juniors acquerraient directement des compétences de supervision et de décision aux côtés des séniors. Les auteurs insistent également sur une évolution des critères de progression : dans un environnement où certains postes disparaissent, l’ancienneté devient un indicateur de moins en moins pertinent. La promotion doit reposer sur les compétences et la capacité à créer de la valeur, et non sur le temps passé dans des rôles intermédiaires qui n’ont plus de raison d’être.
Pour Richard R. Smith et Arafat Kabir, la disparition des premiers échelons de carrière n’est pas, en soi, un dysfonctionnement du capitalisme. Elle révèle surtout l’inadéquation entre des parcours professionnels hérités du XXᵉ siècle et une économie où la valeur repose de plus en plus sur la complémentarité entre intelligence humaine et IA. Les entreprises capables d’adapter leurs modes de recrutement, de formation et de progression interne prendront un avantage décisif. Les autres continueront d’alimenter l’anxiété des jeunes générations – non par excès de technologie, mais par manque d’adaptabilité.
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