Comment la crise du logement pousse la Génération Z vers les cryptomonnaies
Une forte hausse suivie d’une chute tout aussi brutale : la récente volatilité de l’action du fabricant de viande végétale Beyond Meat, en grande difficulté financière, a remis en lumière le phénomène des "actions mèmes". Ces titres, comme GameStop ou AMC, s’envolent non pas grâce aux fondamentaux des entreprises, mais sous l’effet de l’enthousiasme de petits investisseurs mobilisés sur des forums en ligne, tels que WallStreetBets. L’épisode ranime les commentaires sur l’appétence des moins de 35 ans pour le risque, leur supposée légèreté – résumée par l’acronyme Yolo ("You Only Live Once") – et la viralité des réseaux sociaux.
Les données de comportement confirment ce basculement. Le rapport Global Retail Investor Outlook 2024 du World Economic Forum montre qu’environ 30 % des membres de la génération Z investissent déjà en Bourse au début de l’âge adulte, deux fois plus que les millennials au même âge, et qu’une proportion croissante d’entre eux commence par les cryptomonnaies plutôt que par les livrets ou les fonds indiciels. L’étude américaine Gen Z and Investing : Social Media, Crypto, FOMO, and Family indique qu’une fraction significative des jeunes investisseurs américains ne détient que des cryptoactifs ou des NFT, sans diversification classique, et s’informe d’abord via TikTok ou YouTube plutôt que par des canaux institutionnels.
Des travaux sur le trading d’options montrent également que la génération Z se distingue par des portefeuilles de petite taille mais une forte propension au trading journalier, en particulier via des plateformes comme Robinhood ou Coinbase qui pratiquent la gratuité apparente et la gamification. Ce même Robinhood a lancé un marché prédictif au cœur de son application, permettant de parier quelques dollars sur le prochain mouvement de la Fed, l’issue d’un match universitaire ou d’une élection, en partenariat avec Kalshi.
Renoncer à la propriété pousse aux paris boursiers risqués
Pourtant, le supposé nihilisme financier des millenials et de la génération Z pourrait s’expliquer autrement. Quand le logement et la propriété deviennent inaccessibles, une partie des jeunes désespère de s’acheter un toit et se tourne vers des paris à haut risque, faute de voir un chemin crédible via l’épargne patiente. Une autre étude utilise un modèle de cycle de vie calibré sur des micro-données américaines pour projeter la trajectoire des cohortes nées dans les années 1990. Elle conclut que cette génération atteindra la retraite avec un taux de propriété environ 9,6 points plus bas que celui de la génération de leurs parents.
Au cœur de ce phénomène se trouve la notion de renoncement, c’est-à-dire le moment où un ménage cesse de croire qu’il pourra devenir propriétaire. Tant que cette probabilité reste au-dessus d’un certain seuil, les ménages acceptent de travailler davantage, d’épargner et de prendre des risques financiers pour accumuler un apport et sécuriser un achat. Quand la probabilité tombe sous ce seuil de renoncement, les ménages consomment davantage, relativement à leur patrimoine, et épargnent moins. Ils réduisent leur effort au travail, non pas en quittant leur emploi, mais en faisant moins de zèle. Enfin, ils se tournent vers des actifs plus risqués, puisque l’objectif de long terme d’acheter un logement a disparu.
Certes, la médiane de patrimoine des moins de 35 ans a presque triplé entre 2019 et 2022, passant de 16 000 à 39 000 dollars (en dollars de 2022), d’après le Survey of Consumer Finances de la Fed. C’est de loin la progression la plus forte de toutes les classes d’âge, même si cette cohorte reste la moins dotée du pays, après des décennies de stagnation. Mais ce chiffre intègre les transferts massifs liés à la pandémie et une période de surépargne contrainte du fait des confinements. Deuxième nuance : l’économie a grandi plus vite que le patrimoine relatif des jeunes. Si l’on rapporte le patrimoine moyen des moins de 35 ans au PIB par habitant américain, on passe d’environ 0,8 année de PIB par tête en 1990 à 0,5 en 2022. Enfin, l’épargne placée sur des supports risqués est, par nature, plus volatile.
Dans ce contexte, l’appétit pour les stratégies risquées ressemble moins à un caprice générationnel qu’à un calcul, certes contestable, mais rationnel, pour court-circuiter la lente accumulation par l’épargne salariale. D’autant plus lorsque celle-ci est grevée par des prélèvements sociaux toujours plus importants.