L’impôt sur les successions doit-il être proportionnel ?
Nos lecteurs connaissent le nom de Victor Fouquet pour avoir lu ses contributions dans Contrepoints. Ce fiscaliste réputé a donné au Figaro (18 novembre) une interview sur son rapport intitulé Fiscalité de l’héritage : pour une flat tax à l’italienne, publié le mois dernier par l’Institut Thomas Moore et sur lequel nous souhaitons revenir.
Le rapport de Victor Fouquet tranche avec les multiples écrits socialistes ou apparentés que nous avons dû subir depuis la fin des années 2010, qui demandent – pour ne pas dire exigent – à l’unisson une progressivité accrue de l’impôt sur les successions et donations sous couvert de lutte contre les plus riches – voire, fréquemment, contre les personnes tout au plus aisées. Citons par exemple une note de Terra Nova, le rapport Blanchard-Tirole, une note du Conseil d’analyse économique, une note de l’Observatoire des conjonctures économiques, une note d’Oxfam France, une note de la Fondation Jean Jaurès… et nous sommes loin de l’exhaustivité ! La « grande transmission », une expression relevée dans un Figaro du mois dernier, ces 9.000 milliards d’héritage qui seront en jeu entre 2025 et 2040, font saliver nos parlementaires de gauche – et même parfois ceux qui le sont moins. Manifestement, ils récriraient bien le roman de Boris Vian avec un autre titre, J’irai prélever sur vos tombes…
Un plaidoyer en faveur d’un impôt proportionnel sur les successions
Victor Fouquet part de l’idée que « la transmission des biens est d’abord une transmission des liens », et non pas « un truc qui vous tombe du ciel », reprenant pour en souligner l’incongruité l’expression de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet. Il constate les importants défauts de notre impôt sur les successions, entre autres sa complexité et son hypocrisie, à savoir une progressivité plus d’affichage que réelle. Il ajoute – point quasi systématiquement oublié par les thuriféraires d’une progressivité accrue – que l’impôt sur les donations et successions ne compense, ou n’entend compenser, que les « inégalités économiques » en oubliant toutes les autres, notamment celles qui viennent du « capital éducatif et culturel ».
Victor Fouquet effectue trois grands constats : la suppression de la fiscalité sur les transmissions est une tendance mondiale ; les recettes fiscales sont limitées par de nombreuses dérogations ; enfin, il existe une « exception française » – nous la nommerons ainsi – caractérisée par une « fiscalité dynamique » et d’« importantes discriminations selon les liens de parenté ».
Il clôt son rapport par sept propositions de réforme. De réforme donc, nullement de suppression – sa liste commence par là. Il s’oppose à deux idées en vogue : une « dotation universelle en capital » qui profiterait à tous les jeunes ; une « imposition tout au long du cycle de vie » de l’individu, qui prendrait en considération les donations ou successions déjà reçues, même avec des années d’écart. Ce qu’il promeut, c’est une simplification radicale de la structure d’imposition « en s’inspirant du modèle italien de flat tax différenciée », autrement dit un impôt proportionnel qui, pour notre pays, pourrait se situer à hauteur de 15 %. Il souhaite encourager les donations « afin de réduire les inégalités intergénérationnelles », assouplir la « réserve héréditaire » qui interdit notamment de déshériter complètement ses enfants, « sanctuariser le pacte Dutreil » qui favorise la transmission des entreprises familiales, enfin limiter la fiscalité préférentielle des transmissions d’assurance-vie.
Réformer ou supprimer l’« impôt sur la mort » ?
Pour stimulant qu’il soit, le rapport de Victor Fouquet ne nous a guère convaincu. Il voit un « schisme » qui opposerait les libéraux, partagés entre ceux qui souhaitent la suppression de l’impôt et ceux, entre autres Olivier Blanchard et Jean Tirole, qui voudraient son renforcement drastique. Or, il n’y a évidemment aucun « schisme », simplement des libéraux conséquents, tels nos amis François Facchini et Pascal Salin, et des antilibéraux. En contrepoint, Victor Fouquet entend œuvrer à une « position mesurée », à un « compromis intelligent ». Nous sommes tentés de taquiner l’auteur en qualifiant sa position de « macronisme » fiscal, de « en même temps » qui fait plutôt figure de compromission…
Notre impression initiale s’est renforcée lorsque nous avons ensuite lu que, « du fait de la concentration des patrimoines, l’impôt n’a pas besoin d’être progressif pour être redistributif ». Or la proposition de taux proportionnel à 15 % aboutirait manifestement à une aggravation de la situation de beaucoup d’héritiers (sans compter que l’auteur n’est pas certain qu’elle soit constitutionnelle, ce qui est gênant pour une proposition de réforme). En effet, Victor Fouquet donne une série suggestive de chiffres pour établir que le taux d’imposition effectif moyen en ligne directe serait actuellement limité à 3 %… La proportionnalité aggraverait la progressivité : un comble ! Il est dommage à cet égard que le rapport ne contienne pas les calculs, au moins approximatifs, des effets que produirait cette réforme. Ajoutons, en reprenant la conception classique, que justifier l’impôt sur les successions entre autres comme un service rendu par l’État, « garant des transmissions patrimoniales », ne saurait convaincre : à ce compte, cela fait cher du service ! Et si service il y a, un taux forfaitaire très bas, de l’ordre de quelques centaines ou quelques milliers d’euros, serait largement suffisant !
L’État n’a aucune légitimité à tirer profit de la douleur des familles en venant prélever sur les tombes. Il en a d’autant moins que – argument imparable soigneusement obombré par les socialistes –, la matière taxable a déjà été taxée et retaxée durant la vie du donateur ou du défunt. Plus fondamentalement, il serait temps que l’on abandonne la conception solidariste de l’impôt qui s’est insidieusement propagée dans les esprits : l’idée, d’origine absolutiste, selon laquelle le patrimoine ou les revenus des individus appartiendrait à la puissance publique, charge à elle, dans sa grande magnanimité, d’en laisser la part qu’elle déciderait à son propriétaire.
L’article L’impôt sur les successions doit-il être proportionnel ? est apparu en premier sur Contrepoints.