Frénésie au ministère de la (puéri)culture
Le 5 novembre dernier, Rachida Dati a remis en grande pompe le premier Prix pour les livres de bébés. Cette distinction récompensera désormais les ouvrages destinés aux enfants de moins de trois ans, « les premiers livres d’une vie », se rengorge la ministre de la Culture. L’heureuse récipiendaire, Aurore Petit, a donc reçu 4000 euros pour son livre Eté Pop. Elle n’a pas dit ce qu’elle ferait de cette somme en fait payée par les contribuables mais elle semblait très heureuse, quoiqu’un peu surprise qu’un livre « si simple » soit récompensé. A vrai dire, l’intrigue est inexistante et le livre consiste en six pop-up au graphisme assez grossier.
On se rappelle que Mme Dati avait déjà lancé l’opération « Ma première carte de bibliothèque » qui invitait les maires à remettre une carte au nom de l’enfant dès sa déclaration de naissance. Comme si les individus n’étaient pas déjà assez encartés comme ça… Comme si c’était à l’Etat de s’occuper de la fréquentation régulière des bibliothèques municipales…
Pourquoi cette frénésie puéricultrice au ministère ?
Au-delà du rappel obligatoire de certains messages collectivistes (ce prix ne récompensera jamais un livre faisant la promotion du libéralisme comme Je suis un pain au chocolat de Charles Gave ou même un classique non « déconstruit »), j’y vois surtout la manifestation d’un Etat pris de panique devant l’incapacité de nombreux adultes, parents et professeurs, à instruire les enfants. L’État constate, comme nous, que nombre de parents se contentent de leur fournir des tablettes dès leur plus jeune âge. Il ne peut que se lamenter sur le niveau catastrophique des jeunes professeurs, en particulier dans les matières dites littéraires. Les rapports des jurys de concours sont à ce titre éloquents. Il assiste effaré à la grande démission d’une génération qui, privée d’héritage culturel, n’a rien à transmettre.
Car quoi ? Les enfants ne lisent plus certes mais que lisent les adultes, professeurs compris ? Ils « scrollent » les actualités sur internet, feuillettent des manuels de développement personnel qui, au vu de la consommation d’antidépresseurs dans notre pays, n’atteignent pas leur objectif, et se jettent dans les bras d’auteurs lénifiants qui livrent trois fois par an des histoires « d’héroïnes des temps modernes » ou de femmes éconduites retrouvant l’amour après avoir accepté leur différence (ouf !) ou acceptant « de vivre pour elles-mêmes et en accord avec la nature », dans un esprit « bouddhisant ». Les meilleures ventes de livres en ce moment ? Des BD, des polars sur fond de lutte des classes et un Goncourt plaintif et douceâtre dont l’auteur se vante en préambule d’avoir été soutenu par le Centre national du livre. Rien de très exaltant !
Quand ce même adulte est en sus professeur, il accroît son pouvoir de nuisance. Soucieux de satisfaire sa hiérarchie, il se conforme aux listes publiées par l’Éducation nationale, exigeant que sa classe lise Monsieur Crocodile a beaucoup faim, Mon prof est un troll ou Cent Culottes et sans papier . Il fait réciter à ses petites victimes des poèmes commis par des « collègues » qui promeuvent les valeurs de la République ou de l’olympisme triomphant. Il fait ainsi preuve de son engagement bien sûr car, il en est convaincu, sa mission est de lutter contre les inégalités. On lui a vissé dans le crâne que la belle langue favorisait le fils de bourgeois ayant appris à parler avec ses parents. Mal formé, il est généralement incapable de distinguer une bonne méthode d’apprentissage de la lecture d’une autre aux effets néfastes : dyslexie, dysorthographie, mauvaise compréhension et finalement dégoût de la lecture.
Ils retombent irrémédiablement dans le même travers : l’étatisme
Mais voilà, avec le temps, car ces pratiques délétères ne sont malheureusement pas nouvelles, les parents des tout petits d’aujourd’hui sont souvent incapables de les guider dans leur découverte de la littérature. Ils ont perdu le bon sens qui consistait simplement à leur procurer des imagiers montrant des paysages, des animaux ou des véhicules. N’ayant pas bénéficié de la lecture de contes de fées ou des récits mythologiques les exposant par là-même à des systèmes de temps complexes (imparfait-passé simple, subjonctifs…), à un vocabulaire varié et à des tournures grammaticales élaborées, ils n’ont même pas l’idée de les proposer à leurs propres enfants. Ceux-ci sont alors aussi freinés dans leur progression et deviennent rapidement incapables d’accéder au sens de textes élaborés. Le cercle vicieux est malheureusement enclenché depuis des décennies.
Abreuvés d’études en tous genres et convaincus de leur pouvoir, les ministres se sentent responsables. Ils souhaitent alors corriger les effets des politiques précédentes mais retombent irrémédiablement dans le même travers : l’étatisme. C’est ainsi qu’ils créent des prix littéraires et affublent les nouveau-nés de cartes de bibliothèques municipales. C’est ainsi qu’ils continuent d’amender les programmes alors même qu’il faudrait les réduire à des objectifs de fin de cycles afin de laisser les enseignants choisir 100 % d’œuvres classiques s’ils le souhaitent. C’est ainsi qu’ils modifient les critères de recevabilité au concours de professeur des écoles au lieu de le supprimer pour le remplacer par un examen permettant aux chefs d’établissements de choisir leurs équipes. C’est ainsi qu’ils obligent les parents à mettre leurs enfants à l’école dès 3 ans, privant ainsi les grands-parents qui le souhaiteraient de leur transmettre une partie de leur héritage culturel. C’est ainsi qu’ils font la promotion de la « littérature contemporaine jeunesse », toujours proche des gens et surtout engagée, au détriment des classiques, bourrés d’affreux stéréotypes de genre, n’évoquant même pas la lutte des classes… C’est vrai : de quoi auraient-ils l’air s’ils disaient simplement « vous êtes libres » ? ».
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