Le jour où l'EI a pris ses quartiers chez une famille de Kirkouk
Ils ont tiré sur la porte, ont débarqué dans la maison à l'aube et ont braqué un fusil sur la tête d'Abou Mohammed: "On est l'Etat islamique, donne-nous ta voiture!".
Pour protéger ses enfants et ses petits-enfants, cet Irakien a accepté. Peu après, il entendait un bruit fracassant: un kamikaze de l'EI, encerclé par des militaires irakiens, venait de se faire exploser avec la voiture d'Abou Mohammed devant le siège du gouvernement provincial de Kirkouk, grande ville pétrolière du nord.
A 69 ans, cet officier retraité de la police, père de deux enfants et deux fois grand-père, assure en avoir vu d'autres en montrant des cicatrices laissées par des balles au cours de sa carrière.
Quand le jihadiste a appuyé le canon de son arme sur son front, l'homme, mèche blanche sur le haut du crâne et vêtu d'un jogging de marque, n'a pas perdu son sang-froid.
"Il était tout jeune, ce n'était qu'un gamin. Je lui ai dit: +Mes enfants sont plus âgés que toi, j'ai 69 ans, et toi tu me parles comme ça?+", rapporte-t-il à l'AFP. Il mime la scène dans sa maison, devenue en l'espace de quelques heures un champ de ruines après le raid meurtrier de jihadistes de l'EI qui a surpris Kirkouk vendredi à l'aube.
- 'Je n'ai pas bougé' -
Derrière lui, se cachaient sa fille, son fils et leurs enfants. Alors pour les épargner, il a donné la clé de son 4X4 croyant se débarrasser des jihadistes.
L'un d'eux est bien parti avec la voiture en direction du gouvernement provincial. Rapidement pris sous les tirs des policiers, il n'a pas pu terminer sa course et s'est fait exploser, racontent des témoins qui, à grand coups de jet d'eau, nettoient les éclats carbonisés de la voiture qui jonchent un trottoir.
Les autres jihadistes se sont eux retranchés à l'étage de la maison d'Abou Mohammed, se lançant dans des échanges de tir avec la police.
Trois pièces ont été entièrement ravagées par les combats. Dans l'une d'elles, le trotteur rose de la petite-fille d'un an d'Abou Mohammed est recouvert de cendres, l'écran de télévision a fondu, le climatiseur en plastique est tombé du mur après s'être lui aussi tordu dans les flammes.
Le faux-plafond s'est lui écroulé sur un canapé et les murs sont couverts de suie tandis qu'une odeur entêtante de brûlé flotte dans l'air.
Au bout d'une heure dans ce déluge de feu, la famille s'est "échappée chez des voisins", raconte le fils d'Abou Mohammed, Abou Nour, un fonctionnaire moustachu de 35 ans en polo bleu marine.
Seul Abou Mohammed est resté. "Les forces irakiennes ont frappé fort, la maison a été mitraillée, mais moi je n'ai pas bougé", dit-il à l'AFP.
Aujourd'hui, les corps de jihadistes tué dans les combats sont encore allongés au sol dans la rue proche de la maison. Leur sang sèche lentement au soleil, sous le regard de passants qui s'arrêtent pour prendre des photos aussitôt mises en ligne.
- Allongé sur un trottoir -
Un peu plus loin, au pied du mur d'enceinte du siège du gouvernement provincial, le corps d'un homme à la longue barbe, vêtu à l'afghane, gît au bord d'un bassin du jardin public de la ville. Dans une maison, les restes de quatre jihadistes tués sont encore éparpillés.
Tous, assurent Abou Mohammed qui les a entendu parler, avaient un accent irakien et semblaient connaître le quartier.
Depuis vendredi matin, l'EI, acculé dans son bastion de Mossoul par une offensive terrestre irakienne appuyée dans les airs par une coalition internationale menée par les Etats-Unis, tente de faire diversion à l'est.
Elle a lancé une série d'attaques surprises et meurtrières à Kirkouk, une ville multi-ethnique située à environ 170 kilomètres au sud-est de Mossoul.
La cité est depuis sous couvre-feu et samedi les forces irakiennes poursuivaient les opérations de sécurisation dans différents quartiers, a constaté une équipe de l'AFP.
Aux abords du siège du gouvernement provincial, des policiers quadrillent les rues, en attendant que les équipes scientifiques terminent de débusquer les derniers explosifs peut-être cachés sous les vêtements des combattants de l'EI qui gisent au sol.
A quelques mètres du portail d'Abou Mohammed, en travers du trottoir, l'un d'eux est allongé sur le dos. C'est l'homme qui a menacé Abou Mohammed. Son visage adolescent est désormais recouvert par des mouches.