Le village d’enfants SOS de Cusset est un nouveau départ pour les jeunes, comme pour leurs éducateurs

Il y a un an, un nouveau quartier est sorti de terre, entre les rives du Sichon et la rue du Moulin de Presles, à Cusset. Aménagé comme un petit village, avec sa place centrale entourée de neuf pavillons individuels plus une maison commune, il est habité depuis début 2024 par des hôtes âgés de 10 mois à 18 ans. Ces enfants sont issus de fratries confiées à l’Aide sociale à l’enfance (ASE), sur décision judiciaire.

Lors de l'inauguration, les témoignages des enfants étaient accrochés sur les jeunes arbres de la place du village.

L’inauguration officielle de ce village, financé par le Département et géré par l’association SOS Villages d’Enfants, avait lieu mi-septembre. Neuf mois après l’arrivée des premiers enfants, et de leurs éducateurs et assistants familiaux. Des familles fraîchement (re)constituées, qui s’étaient mises sur leur 31, avaient suspendu des banderoles de fanions colorés sur la place, accroché des mots des enfants tout autour…

La fête était de mise, et l’importance et la solennité du moment, pour la petite trentaine d’enfants présents, était palpable. Enfin, voici leur chez eux. Et enfin, la possibilité pour eux de vivre auprès de leurs frères et sœurs, placés jusqu’ici dans des familles d’accueil différentes.L'artiste Repy One a réalisé, avec l'aide des enfants du village, une fresque qui habille un des murs de la structure. Elle a été dévoilée lors de l'inauguration du village.

Lilian (*), 15 ans, et sa sœur Julie (*), 16 ans, sont arrivés au village en avril, avant que leur petit frère Lucas (*) ne les rejoigne en août. Vêtu d’un élégant costume bleu canard, Lilian coanimait la cérémonie d’inauguration. Avec une émotion qu’il a eu beaucoup de peine à dissimuler, il s’est adressé à l’équipe encadrante : « Merci d’être là tous les jours, et de répondre à nos besoins. »

Pour célébrer sa prise de parole réussie, une fois les officiels partis, tout le village s’est rassemblé pour lui offrir un cadeau. Comme dans une véritable famille, il y a dans cette communauté du soutien, de la reconnaissance, des rires et des souvenirs partagés.

Au total, 1.560 enfants bourbonnais dépendent de l’ASE : 46 % sont placés en familles d’accueil, et 54 % en établissement collectif. Grâce au financement de l’État, le Département a comblé son déficit de places en ouvrant récemment deux villages dédiés aux fratries, gérés par SOS Villages d’Enfants, qui peuvent chacun en recevoir 40. Un à Cusset, l’autre à Commentry.

Selon l’estimation de Severine Royet, directrice du village SOS enfants de Cusset, après avoir travaillé à l'ASE du Département, les enfants confiés à l’ASE le sont en moyenne sept ans, avant de retourner auprès de leurs parents, pour ceux qui le peuvent.Durant cette période, et en fonction de leur situation individuelle, ils peuvent être placés soit en famille d’accueil, soit en structure collective : lieu d’accueil (comme à Lapalisse où un couple et deux éducatrices s’occupent de dix enfants sur un site dédié), maison d’enfants à caractère social (MECS : établissement collectif géré par une association), appartements en semi-autonomie pour les pré-adultes, ou encore foyer départemental (hébergement d’urgence provisoire, comme celui de Bellerive-sur-Allier).

Si l’association SOS Villages d'Enfants a remporté l’appel à projets du Département, c’est déjà parce qu’ « il n’y a pas beaucoup de porteurs de projets qui ont cette expertise », explique Nicole Tabutin, conseillère départementale déléguée à l’enfance et à la famille.

« Ils ont aussi été retenus pour le sérieux du dossier, pour les garanties qu’ils pouvaient fournir sur la viabilité, et pour cette petite maison, qui permettait d’avoir une vie la plus proche possible d’une vie dans un foyer naturel. Avec toute la sécurité sur le personnel approprié, et le suivi psychologique. »L'intérieur des pavillons est meublé avec goût, les matériaux et les couleurs choisis sont chaleureux.

Cette « petite maison » et son modèle de gestion, c’est la spécificité de l’association, qui comptabilise 20 villages en France. Un modèle éprouvé, donc, mais qui peut parfois surprendre. Car les éducatrices et éducateurs familiaux, figures d’attachement principales des enfants et présents 24 heures/24 durant trois semaines d’affilée, ne sont titulaires d’aucun diplôme lié à l’enfance.

Les assistants familiaux, seconde figure d’attachement, qui prennent le relais des éducateurs durant les 10 jours de repos de ces derniers, ne le sont pas non plus.

Ils sont tout de suite attachants. Je suis dans mon élément, ici. Mais c'est vrai, je ne sais plus tellement où est ma maison.

Il y a encore deux mois, Gabriel (*) était vélotaxi dans le nord de la France. Aujourd’hui, il est « papa SOS » à Cusset, et gère un foyer de deux fratries, soit six enfants. « J’ai vu l’annonce pour le poste en août, lorsque je suis venu rendre visite à ma famille. J’ai toujours voulu être éducateur, donc j’ai saisi cette opportunité de le faire sans expérience professionnelle dans le domaine. »

Comblé, il couvait les enfants du regard, lors de l’inauguration. « Ils sont tout de suite attachants. Je suis vraiment dans mon élément, ici. Mais c’est vrai, je ne sais plus tellement où est ma maison. »Rosa Bonheur, Dali, Coco Chanel, Florence Arthaud... Les enfants et leurs " figures d'attachement " ont choisi ensemble le nom de leur maison.

« Ce rythme de trois semaines, 24 heures/24 est difficile, concède Séverine Royet. Seules des personnes avec une vie personnelle compatible ont été recrutées. » Deux types de profils se sont portés volontaires : des personnes en fin de carrière professionnelle, qui souhaitaient donner du sens à leur travail, et des trentenaires pas encore engagés dans une vie familiale.Le potager du village, géré par les enfants et leurs éducateurs.

Dans les deux cas, la directrice se veut rassurante : « Nous n’avons embauché que des gens qui avaient une expérience, même personnelle, dans l’aide à la personne, notamment dans le champ du handicap, de la personne âgée. Les éducateurs et assistants familiaux ont bien sûr passé un entretien psychologique avant le recrutement, suivent tout un cursus de formation en interne la première année, et sont accompagnés une fois sur place. »

Le modèle de l’association repose justement sur ce collectif de professionnels, qui entourent les enfants. « Oncles, tantes, marraines… Dans une famille lambda, un enfant a quatre ou cinq personnes de confiance et de référence dans son entourage. Ça structure sa vie, et ça stabilise l’enfant. Et c’est ce qu’on essaie de reproduire ici. »

Texte Sandrine Gras

Photos François-Xavier Gutton(*) Les prénoms ont été modifiés