« Ce n'est pas une crise, c'est une guerre ! » : les mots forts et l'inquiétude d'Alla, native d'Ukraine et vivant à Vichy (Allier)
Alla Pikozh, 41 ans, est née à Kiev, en Ukraine. Aujourd’hui guide-conférencière à Vichy (Allier), elle a conservé l’accent et l’âme slave de son pays d’origine, où elle a laissé sa famille, et beaucoup d’amis.
Un petit drapeau jaune et bleu dépasse ostensiblement de son sac à main. Deux couleurs, une même cause, l’Ukraine. « Son » Ukraine. La terre qui l’a vue naître, 41 ans plus tôt, à Kiev, où elle a vécu une enfance heureuse, dans un pays « libre ».
En 2002, elle s’envole vers l’Ouest, pour suivre des études aux Beaux-Arts, à Clermont-Ferrand. Son objectif, guide-conférencière, diplôme art déco. Forcément, elle découvre Vichy. « 2.000 ans d’histoire, il y a de quoi faire, c’est une mine d’or ! » Forcément, elle en tombe amoureuse. « Comme Napoléon III ». Elle sourit. Mais le cœur n’y est pas vraiment. La tête non plus. Depuis des jours maintenant, elle suit l’offensive russe, minute par minute.
En Ukraine, elle a conservé famille, amis, et un gros morceau d’elle-même. Un pays « beau, dynamique, avec beaucoup de possibilités, et surtout un pays très libre ». Elle exhibe un tatouage, sur son poignet droit. « Ce sont trois lettres entremêlées. En vieux slave, ça signifie” liberté. »
Le mot « Liberté » tatoué en vieux slave sur le poignetEt cette liberté, elle en est persuadée, les Ukrainiens ne la laisseront piétiner à aucun prix. Parce que le chemin a été long, et pavé de souffrances, depuis la chute de l’Union soviétique. « J’ai vécu, là-bas, la fin de l’URSS, les tickets de rationnement. Ça a été très compliqué, il y a eu beaucoup de chômage, de délinquance. Mais petit à petit le pays a trouvé sa voie. Notre histoire, notre culture, sont extrêmement anciennes. Quand Moscou n’existait pas, il y avait déjà des cathédrales à Kiev. C’est même là qu’est née la fédération de Russie. Et c’est ce que Poutine essaie aujourd’hui de nier. »
Alla est inquiète, mais elle se doutait que le voisin impérialiste ne laisserait pas l’Ukraine s’en tirer à si bon compte. « Le pays a toujours vécu dans l’ombre de la Russie, et il a toujours souhaité s’en détacher. » Avec deux révolutions, en 2004 et 2014. Immense capacité de résilience.
Son visage se durcit. « Dans les médias français, j’entends parler de “crise” en Ukraine. Ils n’ont pas le droit de dire ça. C’est la guerre ! Il ne faut jamais perdre de vue que c’est la porte de l’Europe. Si le pays tombe, Poutine s’arrêtera où ? » Une « guerre » sur le sol ukrainien, et une autre dans les médias, où elle voit « beaucoup de fakes ». Alors elle préfère s’abreuver à la source, sur une chaîne ukrainienne, « avec des sources vérifiées. D’ailleurs, le président a passé le message à la population : “Si vous postez quelque chose, vérifiez ! Une grande partie de la population russe, de son côté, ignore ce qu’il se passe réellement, elle pense qu’il s’agit d’une guerre de libération. »
« Aujourd’hui, personne ne panique. Tout le monde a prié pour que la guerre n’arrive jamais, mais on s’y attendait. Alors oui, certains sont partis vers l’Ouest, mais l’immense majorité reste sur place ».
Inquiète, mais confiante aussi, dans « son » peuple. « En 2014, ils ont déposé les armes, mais depuis, ils ont eu 8 ans pour se préparer. Les gens ont l’habitude de préparer des colis pour l’armée, ou de donner leur sang. Les enfants apprennent à l’école à mettre des masques à gaz. Aujourd’hui, personne ne panique. Tout le monde a prié pour que la guerre n’arrive jamais, mais on s’y attendait. Alors oui, certains sont partis vers l’Ouest, mais l’immense majorité reste sur place. Tout, ou presque, fonctionne, les banques, les hôpitaux, les pharmacies, les réseaux… Les cartes avec la localisation des abris ont été distribuées à la population, dès que les sirènes retentissent, tout le monde va s’y réfugier. »
Et la résistance s’organise. « Le président ukrainien a invité la population qui le souhaite à venir prendre une arme, et à défendre le pays. Ils sont déjà plusieurs milliers à l’avoir fait. J’espère que si ça avait été en France, on aurait eu le même courage. »
Ce courage que montrent déjà nombre de Russes, en France, qui sortent dans les rues dénoncer l’offensive de Poutine. « C’est un soutien qui compte. D’ailleurs, il ne faut pas confondre : Poutine est un terroriste, qui envahit un pays souverain, mais le peuple ukrainien n’est pas contre le peuple russe. »
Alla Pikozh veut s’en persuader, « l’Ukraine ne déposera pas les armes. Tout le monde se battra pour conserver le moindre millimètre de terre. » Son père lui a prouvé. « Il a 70 ans, je l’ai appelé pour lui dire de venir en France. Il m’a dit “non, j’ai mon fusil, je reste”. Si j’étais là-bas, moi aussi j’aurais fait quelque chose. Pas forcément prendre une arme, mais aider les réfugiés par exemple. Il y a plein de choses à faire. »
« C’est un pays magnifique, et un peuple pacifique »Elle sourit à nouveau. « Jusqu’ici, souvent, les gens ne savaient pas trop placer mon pays sur une carte. Aujourd’hui, tout le monde sait où c’est. Je suis assez fière de ça. C’est un pays magnifique, et un peuple pacifique, qui est en Europe et qui veut être européen. »
Elle l’assure, « l’Ukraine s’inquiète, mais l’Ukraine n’a pas peur. » Sûrement un peu moins qu’elle, d’ailleurs. « J’essaie de garder mon calme, même si à l’intérieur c’est la panique totale. Je suis française, totalement assimilée, mais entièrement Ukrainienne dans ma tête. C’est de ma ville qu’on parle, de mes parents, de mes amis, de ma copine qui a été réveillée à 4 heures du matin par un bombardement… » Ukrainienne Jusqu’au bout de l’accent. Et ces jours-ci plus que jamais.
Matthieu Perrinaud