Fonds d’innovation pédagogique : 13 "bonnes idées" pour les professeurs et les établissements
La chronique de Franck Ramus
Dans une allocution aux recteurs prononcée le 25 août 2022, le président Emmanuel Macron a annoncé la création d’un fonds d’innovation pédagogique. Doté de 500 millions d’euros, son but est de financer des innovations à l’initiative des établissements. Dans le contexte général d’une politique éducative centralisée et descendante, d’une autonomie et de moyens très limités pour les établissements, ce fonds pourrait être une opportunité exceptionnelle de faire progresser toute la communauté éducative, en faisant confiance aux enseignants, en leur donnant le pouvoir d’agir et les moyens pour le faire, le tout au bénéfice des élèves.
Pourtant, des membres du conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN), tout en étant enthousiasmés par la perspective, ont également fait part de quelques inquiétudes. Et ce d’autant plus que les consignes données aux recteurs évoquaient la nécessité de débourser ce fonds au plus vite, sans critère de sélection, sans impératif d’évaluation des résultats, le tout en invoquant "le droit à l’erreur". Une stratégie basée sur une première expérience lancée en 2021 dans les écoles marseillaises, dont nul ne sait si elle produit les effets attendus. Et pour cause, aucune démarche d’évaluation n’a été entreprise.
Le risque de projets sans aucun bénéfice pour les élèves
Le problème de n’avoir aucun critère de sélection, c’est que l’on sait à l’avance que certaines écoles s’engageront en toute bonne foi dans des projets sans aucun bénéfice pour les élèves ni pour les enseignants. De fait, avec ou sans le fonds, certains enseignants et établissements s’enthousiasment déjà pour le Brain Gym - des activités physiques censées faciliter la communication entre les hémisphères du cerveau -, les styles d’apprentissage, les intelligences multiples, la cohérence cardiaque, le reiki - une pseudo-médecine japonaise -, et bien d’autres concepts et pratiques sans validité scientifique et sans aucune efficacité établie. Combien de tels projets le fonds financera-t-il ?
Bien sûr, le droit à l’erreur est un bon principe. Les chercheurs savent mieux que quiconque que toutes les expériences ne peuvent pas donner les résultats espérés, et que cela fait partie du métier. Mais c’est pour cela que lorsqu’ils envisagent une nouvelle expérience, ils commencent par s’appuyer sur les résultats des expériences passées, et plus généralement sur toute la connaissance accumulée jusque-là. Le droit à l’erreur, ce n’est pas le droit de répéter les erreurs du passé. Or en éducation, en pédagogie, on ne part pas de rien. Il existe dans ce domaine bien plus de connaissances que ne le soupçonnent la plupart des gens.
L’efficacité d’innombrables pratiques pédagogiques déjà évaluées par la science
En 2008, le chercheur néo-zélandais John Hattie a publié le livre Visible learning. Son ambition était de faire la synthèse de toutes les recherches les plus solides dans le domaine de l’éducation. Il a, pour cela, recensé plus de 800 méta-analyses, c’est-à-dire des études qui compilent statistiquement les résultats d’autres études sur un même sujet. Ces 800 méta-analyses rassemblaient les résultats de plus de 50 000 études, portant sur plus de 100 millions d’élèves dans plusieurs dizaines de pays. Depuis 2008, le volume des recherches internationales publiées dans le domaine de l’éducation a encore doublé. On peut en consulter des synthèses extrêmement bien faites sur le site de l’Education Endowment Foundation (en anglais).
Bref, on en sait déjà beaucoup en éducation. D’innombrables pratiques pédagogiques ont été testées, modifiées et retestées par de nombreuses équipes de recherche dans divers pays. Avant de s’enthousiasmer pour une nouvelle idée, il pourrait être prudent de vérifier si elle n’a pas déjà été testée et si elle n’a pas déjà été remisée depuis longtemps au placard des fausses bonnes idées. Et pour les établissements qui se demandent, parmi les innombrables possibilités qui s’offrent à eux, quels seraient les projets qui seraient susceptibles de répondre à leurs besoins avec de bonnes chances de succès, il serait bien utile de pouvoir consulter une liste d’idées qui selon la recherche ont bien marché pour d’autres établissements avant eux.
13 bonnes idées validées par la science
C’est pour cela que le CSEN a publié, mardi 13 décembre, un document intitulé "Quelques bonnes idées d’innovation pédagogique", qui s’appuie sur la recherche scientifique internationale en éducation pour en extraire 13 suggestions, des démarches ou pratiques pédagogiques qui ont déjà largement fait la preuve de leur efficacité dans de nombreux pays, et qui n’attendent que d’être adoptées massivement par les établissements français. Tout en préservant la liberté des établissements de prendre des initiatives et de s’engager dans les projets qu’ils choisissent, le CSEN plaide donc pour que cette liberté soit informée et guidée, pour éviter que tout l’espace des possibles ne soit (encore) exploré comme si c’était une vaste terra incognita.
Au-delà de ce guidage a priori, il serait également souhaitable de promouvoir une évaluation rigoureuse des résultats donnés par les différents projets. Tous ne marcheront pas, c’est inévitable et ce n’est pas forcément grave. L’essentiel est d’être en mesure d’apprendre de ses échecs. Encore faut-il être capable de déterminer quel projet est un succès et quel projet est un échec. Ce n’est pas si simple qu’il y paraît. On ne peut pas juste se fier à la satisfaction des différentes parties prenantes, qui peut être en complet décalage avec les résultats scolaires des élèves, ou avec d’autres indicateurs objectifs pertinents pour le projet.
Une méthode d’évaluation nécessaire
Il est donc nécessaire d’adopter une méthodologie expérimentale, en comparant différents projets visant le même but mais employant des moyens différents, sur des indicateurs communs choisis au départ. Par exemple, les établissements faisant financer par le fonds d’innovation pédagogique des projets visant à améliorer le climat scolaire pourraient être accompagnés pour déterminer ensemble les indicateurs pertinents, adoptés par tous et mesurés au début et à la fin du projet. Ainsi on se donnerait les moyens de déterminer quels projets auront marché mieux que d’autres.
Le droit à l’erreur est une démarche louable, mais il a pour corollaire l’impératif d’apprendre de ses erreurs, ce qui à son tour nécessite une méthode pour distinguer de manière fiable les succès et les échecs. Faute d’une telle démarche d’évaluation, la France risque de dépenser 500 millions d’euros sans rien pouvoir en apprendre, et de s’avérer à la fin incapable de dire quels projets auront marché et seraient susceptibles de servir d’inspiration pour les investissements futurs.
Franck Ramus est directeur de recherche (CNRS), il travaille au Laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistique (ENS), et est également membre du Conseil scientifique de l’Éducation nationale.