49.3 : l’histoire d’une mauvaise réputation
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"Tout le monde médit de moi/Sauf les muets, ça va de soi…" Comme l’anticonformisme de la chanson de Brassens, le 49.3 a mauvaise réputation. Un exemple parmi d’autres : en 2016, le mouvement citoyen "Nuit Debout", créé en protestation contre la loi Travail, dénonce dans son usage un "déni de démocratie". L’opposition à cet article, qui permet au gouvernement d’engager sa responsabilité sur un projet de loi -lequel est considéré comme adopté si une motion de censure n’est pas votée à l’Assemblée nationale-, semble aujourd’hui largement partagée. Dans une étude Odoxa-Backbone pour Le Figaro, 74 % des sondés jugent inacceptable son usage pour faire passer la réforme des retraites. "Les citoyens le voient comme un mécanisme très peu démocratique, qui brutalise la vie parlementaire", constate Bruno Cautrès, chercheur CNRS au Cevipof. Si bien que jusqu'à la dernière minute, l'hypothèse du recours au 49.3 pour faire adopter la réforme des retraite n'avait rien d'une évidence.
Son usage remonte au second mandat de François Mitterrand, qui dispose d’une majorité relative à l’Assemblée. L’ancien Premier ministre de François Mitterrand Michel Rocard (1988-1981) y recourt à vingt-huit reprises, un record. Edith Cresson, son éphémère successeure à Matignon (1991-1992), l’utilise, elle, huit fois en moins d’un an. "Il y avait une grosse crispation à l’époque d’Edith Cresson. Les chansonniers l’appelaient 49.3", se souvient Gaspard Gantzer, ancien conseiller de François Hollande et auteur d’Etes-vous encore de gauche ? (Flammarion, 2022).
Ambivalences
En 2008, la réforme constitutionnelle de Nicolas Sarkozy limite son emploi à un seul texte par session parlementaire, hors projets de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale. A l’époque, sa suppression est même évoquée, mais la configuration politique (une majorité absolue pour la droite) rend son usage improbable. De plus, le souvenir de Michel Rocard, sauvé par cet article alors qu’il ne disposait que d’une majorité relative, incite à le conserver, comme le rappelle la juriste Anne Levade dans les colonnes de Sud Ouest.
Le quinquennat Hollande (2012-2017), au cours duquel Manuel Valls l’utilise à six reprises, notamment pour la loi Macron (2015) puis la loi Travail (2016), constitue un tournant. "La situation a vrillé à ce moment-là, témoigne Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du Parti socialiste de 2014 à 2017. L’application du 49.3 par la gauche contre la gauche [les frondeurs, NDLR] a été ressentie durement. Y compris par Emmanuel Macron…" Gaspard Gantzer complète : "Il y a eu un alignement entre la personnalité de Manuel Valls, très clivante, et l’usage du 49.3, un instrument juridique qui a été mis au service de cette personnalité." Conscient d’être marqué au fer rouge par cet article, Manuel Valls, candidat à la primaire de la gauche en 2016, en proposera la suppression – une volte-face qui ne lui a pas porté chance, puisqu’il finira à la troisième place du scrutin…
Des exemples qui témoignent des ambivalences de la gauche à l’égard du 49.3. Si sa tradition parlementariste l’incite à la méfiance, à la différence d’une droite soucieuse de la primauté de l’exécutif sur le législatif, ces réticences s’effacent souvent à l’épreuve du pouvoir. "En France, la gauche est moins souvent au pouvoir que la droite, et quand elle l’est, elle a souvent des problèmes de majorité", rappelle Gaspard Gantzer.
Circonstances politiques
Selon Stéphane Rozès, le politologue et auteur de Chaos – Essai sur l’imaginaire des peuples (avec Arnaud Benedetti, éditions du Cerf, 2022), "ce qui compte pour les Français n’est pas de savoir si l’exécutif doit forcer le législatif, mais s’il le fait pour des raisons légitimes. Dans l’esprit des citoyens, quand la France maîtrisait sa souveraineté nationale, il s’agissait d’un outil au service de l’exécutif pour faire avancer le travail parlementaire. Mais depuis que l’exécutif n’est plus pour eux l’émanation de la volonté populaire, ils le perçoivent comme le moyen de faire passer des réformes structurelles imposées de l’extérieur".
Autrement dit, la perception du 49.3 dépend d’abord des circonstances politiques et de la nature du projet porté par le gouvernement. D’où la relative mansuétude dont bénéficie en son temps Michel Rocard, dans le contexte consensuel de la "France unie" – slogan de campagne de François Mitterrand pour sa réélection à l’Elysée…
Sens des institutions
Mais à l’heure de l’aspiration à la démocratie directe, son emploi peut sembler anachronique, ce qui explique sans doute les réticences à son égard d’Emmanuel Macron, qui préférerait éviter de l’utiliser pour la réforme des retraites. "La Ve République est fatiguée, les citoyens se reconnaissent moins dans des institutions rigides et autoritaires. Si le gouvernement n’a pas de majorité, je ne vois pas pourquoi il aurait l’ascendant sur le Parlement", analyse Gaspard Gantzer. Le politologue Gérard Grunberg, ancien membre du cabinet de Michel Rocard, s’exaspère, lui, des critiques contre "un élément fondamental de la Constitution de 1958, que Michel Debré [son principal inspirateur avec le général de Gaulle, NDLR] considérait comme de nature parlementaire. Si vous n’avez pas une majorité pour renverser le gouvernement, il n’y a pas de raison que le Premier ministre ne puisse pas faire passer ses textes".
La querelle continuera-t-elle longtemps ? Le député EELV Jérémie Iordanoff a déposé, jeudi 9 mars, une proposition de loi constitutionnelle pour supprimer l’article honni, qui nuirait à la "crédibilité du système démocratique dans son ensemble". Son retrait figurera-t-il dans la réforme des institutions annoncée par Emmanuel Macron ? En attendant une éventuelle retouche de la Constitution, le 49.3 n’a pas fini de traîner sa mauvaise réputation.