Mort de Serge Vieira : "C'est un exemple" : Régis Marcon, chef triplement étoilé évoque son ami
Serge Vieira n’est plus. Le chef doublement étoilé au guide Michelin, Bocuse d’Or 2005, laisse derrière lui son épouse, Marie-Aude, ses deux jeunes enfants… et une institution de la gastronomie française à Chaudes-Aigues.
Chef emblématique du Cantal, Serge Vieira s’est éteint à 46 ans. Né à Clermont-Ferrand, le chef s’est frayé un chemin parmi les grands chefs de la gastronomie. « Une grande perte pour toute la profession, et pour le territoire », réagissait, hier soir, son ami et confrère Sébastien Bras, fils de Michel Bras.Il y a le palmarès. Un parcours jonché de distinctions. Bocuse d’Or en 2005, il devient le premier étoilé du Cantal, il décroche sa deuxième étoile au Guide Michelin en 2012 pour sa cuisine au château du Couffour, à Chaudes-Aigues. Il était aussi devenu le président de la Team France, créée en 2012 pour soutenir et encadrer le candidat français au Bocuse d’Or.
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Et il y a l’homme derrière le tablier. Celui qui, consubstanciel au travail, croyait en les « valeurs de la main, les valeurs qui passent par le métier ». Régis Marcon, chef triplement étoilé, le raconte. Il a vu Serge Vieira grandir. Le jour de l’annonce du drame, il en parle encore au présent. « Serge, pour moi, c’est un fils. »
Formé dans ses cuisines. Et puis, une amitié s’est forgée. De maître à élève, ils sont passés à père et fils. « Persévérance et gentillesse » le caractérisent, selon les mots du chef altiligérien. « Il ne transige pas. » Il aiguise son talent à mesure qu’il dépose un brin d’oxalis ou cisaille une ciboulette. Il œuvre, apprend et transmet. Il façonne son identité gastronomique. Régis Marcon se souvient des débuts. Des premiers mois.
C’était un jeune doué. On a vécu des moments forts, ensemble. La cuisine lui a apporté beaucoup. C’était déjà un professionnel sérieux, il avait le challenge dans les mains.
Sérieux, exigeant, Serge Vieira se démarque. En 2009, le natif de Clermont-Ferrand fait du château du Couffour, à Chaudes-Aigues, une institution, la sienne, « Serge Vieira ». Il ne triche pas, il travaille. Quand Régis Marcon en parle, il revient inlassablement au travail. Comme si sa mordante réussite résultait d’un construit indissociable de la notion d’opiniâtreté.
La persévérance au service du territoire du Cantal« C’est un exemple. Ce n’est pas rien de s’installer à Chaudes-Aigues. Certains auraient tendance à baisser les bras… Lui a persévéré dans le travail, pour faire vivre ce territoire, et a créé l’exception. Et l’aventure ne s’est pas arrêtée là. » Serge Vieira. Parce que c’était lui, et parce que c’étaient ces mains-là, il a réussi à faire ça. Son itinéraire éloquent en est le symbole.
Il fait partie de ces gens qui « se sont faits tout seuls, par la force du travail, par la pugnacité, dans le partage et la bienveillance ». Ces gens qui font émerger l’éclat du territoire qu’ils ont choisi. Le Cantal, pour Serge Vieira. Chaudes-Aigues. « À sa carte, on reconnaît un ambassadeur de l’Auvergne. » Lui, en filigrane. Lui, dans les interlignes de cette carte qu’il a imaginée ancrée dans le pays de Saint-Flour, teintée de ses origines lusitaniennes. Le Portugal. Sa famille. Son enfance dans le Puy-de-Dôme, en vélo à Châteaugay, ou dans les vignes plantées par son père à Gerzat. Et son père, ouvrier Michelin. Marqué par l’immigration, Serge Vieira est porté par de fortes valeurs familiales et ne s’en éloignera jamais. Il en tire sa foi en le travail, et son cœur de bon-vivant. Il est à la fois cet homme qui « ne pouvait pas concevoir la cuisine dans une énergie négative. Il la voulait sereine, le plaisir passait aussi par le plaisir de ceux qui l’entourent ». Et à la fois, ce chef qui « marquait les jeunes qui passaient chez lui. La rigueur était importante bien sûr?; c’était quelqu’un qui ne transigeait pas. C’était un chef contemporain ».
Très « attaché à son terroir », fier de ses origines lusitaniennes, « c’était un chef de son temps. Il prenait en compte le métier, la valeur, les gens du pays, le terroir. » Mais « ce n’est pas qu’un chef », dit Régis Marcon. « C’est un couple qui formait un tout, une maison. Il laisse derrière lui des enfants en bas âge… »
Cela fait plus d’un an qu’il se battait contre une maladie que beaucoup de monde connaît. Il s’est battu. Il a l’âge de mon fils.
Silence. « C’est injuste. »
Son œuvre ne s’éteint pas. Il laisse un héritage. « Sa façon de concevoir le travail demeure. Le regard qu’il portait sur la nature - et Dieu sait si elle est belle chez nous - aussi. Ce n’est pas fini, sa femme est là. Il a formé un chef plus qu’excellent, Aurélien. » Une grande bonté l’habitait. « D’ailleurs, à ses obsèques, il y aura une cagnotte pour les écoles d’enfants en difficulté. » Et d’ajouter : « toute la famille des Bocuse d’Or pense à sa mère, et à toute sa famille ».
Anna Modolo