Les recherches ont repris aux Millières : que va livrer ce site légendaire de Thiers ?
Des sondages archéologiques ont repris aux Millières. Les chercheurs veulent en savoir plus sur ce site légendaire de Thiers.
Sur le flanc de la montagne, au milieu des arbres, des pioches s’agitent, brisant à peine le silence des Margerides. Depuis lundi, les recherches archéologiques ont repris aux Millières (*). Elles doivent durer deux semaines.
L’an dernier, à la même période, les premiers sondages confirmaient l’existence à cet endroit d’une fortification d’époque mérovingienne. Une avancée qui avait chamboulé l’Histoire de Thiers. Le "castrum thigernum", lieu considéré comme les origines de la ville, évoqué par l’historien Grégoire de Tours au VIe siècle, était imaginé au Moutier. Il serait en fait aux Millières, ce site qui surplombe le Bout du monde.
Depuis les derniers sondages, des spécialistes ont fait parler les éléments qui avaient été exhumés. "Nous avons trouvé plus d’un millier de restes de céramiques. Tous sont caractéristiques des Ve, VIe et VIIe siècles", rapporte Damien Martinez, directeur des fouilles. De très nombreux ossements, issus de la consommation de viande, ont aussi été découverts, notamment dans un remblai considéré comme un dépotoir. Un os de bœuf a été analysé au carbone 14. "Il a été daté du début du Ve siècle", précise le chercheur.
Découvrez les trouvailles des archéologues à Thiers, sur le site des Millières
"Le roi des Francs en personne est venu là"Cette abondance de nourriture carnée confirme le statut du lieu.
On est dans un contexte aristocratique, renseigne Damien Martinez. Rien que la puissance des murs, très larges, le montre. C’est pour cela que le roi des Francs, le fils aîné de Clovis, s’y est intéressé. Les aristocrates arvernes ne voulaient pas des Francs et se servaient de ces forteresses, comme le castrum thigernum, pour se défendre. Mais dans les années 530, le roi des Francs en personne avec toute une armée est venu là, il a brûlé le castrum et s’en est emparé.Damien Martinez, archéologue responsable des fouilles.
C’est donc au cœur de l’Histoire de France que les recherches s’opèrent. Avec l’espoir que ces bâtiments, plus tard effondrés puis abandonnés, aient conservé des choses en-dessous.
Trois nouveaux sondagesSix étudiants, sous la conduite de Damien Martinez, ont ouvert, comme l’an dernier, trois fenêtres d’une quinzaine de mètres carrés. L’année dernière, les fouilles avaient permis de dévoiler un angle sur le mur d’enceinte de la fortification. Il s’agissait d’un montant de l’entrée.
L’un des sondages de cette nouvelle campagne tente de localiser l’autre montant. "Pour avoir la largeur de la porte, indique l’archéologue. Cela peut nous en dire long sur le dispositif d’entrée." Des véhicules tractés entraient-ils par là ? Une question qui trouvera peut-être des réponses dans quelques jours.
Un autre sondage consiste à agrandir le dépotoir qui témoigne du mode de vie des habitants et de leur puissance financière.
Enfin, la troisième cible est le dégagement d’un mur en pierre, large d’1,30 m. "C’est le mur d’un bâtiment intra-muros. On veut savoir ce que c’est", note l’historien.
Préparer de plus larges fouilles"Il faut voir les Millières comme un complexe, il y a forcément des écuries, des granges, des cuisines…", souligne Laurent Mosnier, un passionné d’Histoire qui est à l’origine, avec Damien Martinez, de l’intérêt porté aux Millières. Tous espèrent aussi trouver un jour l’église mentionnée par Grégoire de Tours.
Ces deux semaines permettront d’aller plus loin dans la compréhension du site, mais il ne s’agit pas encore de fouilles sur de grandes surfaces. "On prépare l’avenir", affirme le responsable du chantier. Ce site gallo-romain mesure un hectare, les fortifications étaient très hautes, l’accès est long et escarpé. Comment faire venir une pelle mécanique ? Que faire des monticules de pierres et de terre ? Les fouilles s’annoncent éprouvantes, prévient l’archéologue. "C’est le travail de plus d’une vie."
(*) Financées par le Département et accompagnées par la Drac.
Visiter les Millières
Le site des Millières sera ouvert au public et commenté par Damien Martinez lors des Journées départementales de l’archéologie le 16 juin.
"Le castrum, c’est une question nouvelle en histoire"
Le directeur des fouilles, Damien Martinez, est spécialisé dans les sites de type "castrum". Il travaille sur un autre lieu à Molles, dans l’Allier. "Ce sont des forteresses qui fonctionnent en réseau pour défendre le Forez et la Montagne bourbonnaise." D’autres sont mentionnées vers Vollore-Ville et Puy-Guillaume.
Le castrum, c’est une question nouvelle en histoire, on s’y est très peu intéressé. On pensait que c’étaient des endroits où les Romains se protégeaient des Francs. On s’aperçoit que ce sont des lieux de vie, de nouvelles formes d’habitat, prémices de ce que seront les châteaux forts.
Combien de personnes vivaient ici ? "Difficile à dire", prévient l’historien. Il s’agissait peut-être d’une famille aristocratique entourée de domestiques, de gardes, de membres du clergé, de paysans… Mais le lieu pouvait aussi éventuellement accueillir des voyageurs. "À demeure, il peut y avoir quelques dizaines de personnes, et pour l’accueil, plusieurs centaines", avance-t-il avec prudence.
Association
En parallèle des sondages archéologiques, une douzaine de bénévoles des Amis du patrimoine thiernois travaillent aussi sur le site. Leur rôle : débroussailler pour découvrir des vestiges à prospecter. Dès lundi, ils ont mis au jour un mur de la forteresse. Une collaboration "essentielle", selon Damien Martinez.
Alice Chevrier