Régine Detambel fait revivre Sarah Bernhardt dans son roman "Sarah Quand Même"
Le 26 mars 2023 marquera le centenaire de la mort de Sarah Bernhardt. À l'occasion de cet anniversaire, Régine Detambel fait revivre cette comédienne hors normes dans son roman passionnant, Sarah quand même.
Née en 1844 et décédée le 26 mars 1923 à Paris, Sarah Bernhardt fut comédienne et femme de théâtre. Grâce à sa fortune, cette efficace femme d'affaires acquit le théâtre qui porta longtemps son nom place du Châtelet à Paris. Avec les tournées qu'elle réalisa aux États-Unis, on peut aussi dire qu'elle fut la première star internationale. Régine Détambel invite le lecteur dans l'intimité de cette femme hors normes pour laquelle Jean-Cocteau créa l'expression de "monstre sacré".
Finalement, Sarah Bernhardt ne serait-elle pas méconnue ?
Je crois qu'on peut le dire. Elle est cachée derrière son nom. Parmi les moins de quarante ans, beaucoup ne la connaissent pas. Ceux qui la connaissent ignorent sans doute ce qui se cache derrière ce nom. Pourtant, elle est partout dans la littérature de la première partie du XXème siècle. Elle est celle qu'on imite, celle qu'on adule, mais aussi celle qu'on déteste. Elle a fait l'objet de pamphlets, d'antisémitisme, de machisme de la part de Rodin par exemple et autres marques d'acrimonie.
Comment avez-vous envie de présenter Sarah Bernhardt en quelques mots ?
Avec sa devise contenue dans le titre de mon livre : "quand même !".
Que signifie-t-elle exactement ?
J'irai quand même, je le ferai quand même, je réussirai quand même... Sarah Bernhardt, c'est l'énergie en marche. Elle est toujours sur la brèche. C'est la passion, la détermination faite femme. C'est une tigresse. "Quand même !", c'est la devise qu'elle porte jusqu'à la fin de sa vie.
Elle est une femme émancipée avant l'heure.
Elle l'est de deux façons. Elle est émancipée en tant que femme car, à une époque où cela ne fait pas, elle n'est pas dans les liens du mariage. Elle gagne sa vie par elle-même. Il s'agit là d'une émancipation sociale.
Il y a une autre émancipation qui m'intéresse chez elle. C'est sa capacité à échapper à des entraves comme la maladie, l'épuisement, la vieillesse, la douleur, l'amputation. Dans une telle situation, une actrice peut se dire : je suis fichue, je vais me cacher. En dépit de sa jambe amputée, elle ne pense qu'à remonter sur scène. Elle y parvient sur sa jambe unique ! Elle montre un courage fou, un chemin de libération de tout ce qui nous entrave.
Fille de courtisane, l'a-t-elle été elle aussi, avec le duc de Morny par exemple au début de sa carrière ? À cette époque, hélas, l'émancipation des femmes en passait par là.
Cela se dit. Les pamphlétaires le disaient. Mais ce n'est pas cette période de sa vie qui m'intéresse. J'ai choisi d'écrire non pas sur sa jeunesse mais sur la Sarah Bernhardt de 70 ans.
C'est Susan, sa secrétaire, amoureuse d'elle et souffre-douleur, qui raconte votre récit. Elle introduit la notion d'homosexualité. Cette Susan a-t-elle existé ?
Elle fait l'objet de quelques lignes dans tous les écrits que j'ai consultés. Je n'ai pu trouver son patronyme. C'est donc un personnage que j'ai inventé à partir des nombreuses personnes qui ont été au service de Sarah Bernhardt.
Elles tourbillonnaient autour d'elle dans une relation d'emprise et souvent homosexuelle. En général, on parle des hommes quand on parle de la vie amoureuse de Sarah Bernhardt. Mais sa bisexualité était notoire et n'a jamais vraiment été évoquée.
Ces relations d'emprise existaient beaucoup à cette époque, avec des cantatrices, des actrices. Je reprends d'ailleurs l'histoire des "crocodiles". C'est le nom qu'on donnait à certaines actrices qui suivaient les grandes comédiennes pour essayer de "happer" des rôles. Je me suis beaucoup amusée à dépeindre ce monde-là. Assez épouvantable d'ailleurs, avec les disputes, etc., il est aussi hilarant. Je suis allée en ce sens car Sarah Bernhardt avait un humour extraordinaire. Elle était très drôle.
Pour qui n'était pas sous son emprise...
Exactement. Elle pouvait être assez perverse. Je l'ai montré avec cette pauvre Susan.
À votre avis, qu'est-ce qui plaisait dans son talent ? Les enregistrements de sa voix sont assez bizarres.
Je pense que nous ne le saurons jamais. Il ne faut pas imaginer avoir une idée juste de son talent avec les rares minutes d'elle enregistrées sur rouleau, en ces temps bien loin encore de la dolby stéréo. Ces enregistrements sont des caricatures. Cela donne seulement une idée de son débit, du rythme. Mais le grain de sa voix ne s'y trouve pas. En revanche, les comédiens d'aujourd'hui admirent encore sa technique. Sans doute avait-elle un "je ne sais quoi", quelque chose d'indéfinissable qui plaisait. On sait aussi qu'elle était inspirée. Elle "brûlait les planches". Elle allait très loin dans son jeu. Elle-même disait qu'en sortant de scène, elle était épuisée, "cramée".
Vous soulignez dans votre livre la naissance d'une façon de jouer aux antipodes de ce qu'elle faisait, avec le théâtre d'Ibsen par exemple.
Oui et elle critiquait beaucoup ce théâtre. Seul l'intéressait l'extraordinaire, avec des auteurs comme Rostand, Hugo, Racine...
Elle interprétait aussi des rôles d'hommes.
L'Aiglon, un tout jeune homme, qu'elle joua à 56 ans. Elle rêvait aussi de jouer Hamlet. Quelque chose dans tout cela nous échappera toujours.
Son rapport à l'argent ? Elle était une femme "puissante" grâce à l'argent.
Elle fut en effet une puissance financière. Elle a tout de même racheté le théâtre Sarah Bernhardt à Paris. Cela représente une grande fortune. Elle y programmait, jouait, faisait les mises en scène, écrivait des petits drames.
Elle était pourtant toujours en quête d'argent, donnant l'impression de n'en avoir jamais assez.
Un théâtre est un gouffre financier. Elle faisait aussi vivre son fils, sa petite-fille, sa famille. Alors, elle était toujours en quête d'argent. C'est pour cela qu'elle s'est mise à faire des tournées aux États-Unis car, là-bas, l'argent rentre plus vite. C'est ainsi qu'elle est devenue la première star internationale. Avant elle, cette dimension de la célébrité n'existait pas.
Comment avez-vous articulé les faits réels et la fiction ?
On a vu le rôle de Susan dans cette fiction. Elle a existé et je l'ai aussi inventée. Il faut savoir que Sarah Bernhardt a écrit ses propres mémoires. Elle n'avait pas encore 50 ans. Bien sûr, elles sont hagiographiques. L'actrice a dû les "arranger" à sa convenance... Sous sa plume, la réalité des faits relatés est moins que sûre, voire pas sûre du tout. J'ai aussi consulté des écrits de ceux qui la détestaient comme Marie Colo... Elle l'avait baptisée Sarah Barnum, en raison de ses tournées sous chapiteau aux États-Unis.
Dans tout cela, j'ai aussi enlevé des choses car c'était trop. Cette femme était extrême. Tout relater finissait par donner le sentiment de situations invraisemblables.
Paradoxe de la littérature qui rend le réel invraisemblable.
En effet, un roman doit parfois se dégager du réel pour donner l'impression du crédible.
Par Muriel Mingau