Trois coups de feu sur la maison d'une famille en Creuse pour un magot mystérieux venu de Turquie
Le 5 novembre 2019, trois coups de feu sont tirés dans les volets d’une maison de Felletin. Des violences, qui ont été précédées de menaces, dont l’auteur a été jugé jeudi 6 mars 2024, en son absence, au tribunal de Guéret sur un fond de trésor familial disparu au sein de la diaspora turque.
C’est une étrange affaire de menace et de violence avec arme, mais sans blessure, qui est arrivée à la barre du tribunal judiciaire de Guéret, jeudi dernier.
Un dossier qui a parcouru un zigzag judiciaire : il devait être jugé en 2019, après la commission des faits, en comparution immédiate, mais a été renvoyé. Puis confié un temps à un juge d’instruction avant qu’il ne retrouve une procédure correctionnelle classique, dont les audiences ont été renvoyées plusieurs fois. Mais après que le prévenu a fait six mois de détention provisoire. Un cheminement judiciaire qui explique qu’il ait fallu cinq ans pour amener le prévenu à la barre.Sauf qu’il est… absent à l’audience. Qu’il ne répond plus à son avocate et ne lui a même confié aucun pouvoir afin qu’elle le défende.
Le procès a donc lieu en son absence et sans que personne ne plaide pour lui.
Un bain de sangL’histoire, ce sont d’abord des menaces téléphoniques. La victime, un trentenaire habitant Felletin, issu de la communauté turque qui reçoit le 27 octobre 2019 un coup de fil sur son portable : pendant sept minutes, un homme qu’il ne reconnaît pas le menace d’un bain de sang qui va emporter ses parents, ses frères, sa sœur, que la mafia turque va s’occuper d’eux.
Et la famille entend les intimidations sur le haut-parleur qui a été enclenché. Effrayé, le jeune homme se précipite à la gendarmerie pour déposer une main courante.
L’affaire est familiale, pense-t-il car, même si l’appel est anonyme, il semble provenir d’un parent : les menaces ne seront pas mises à exécution s’il rend l’argent de l’oncle.
Quel oncle ? Celui qui, décédé quelque temps auparavant en Corrèze, aurait eu un magot caché de 450.000 € ou 750.000 €, les versions varient, et que le “corbeau” accuse la victime d’avoir dérobé.
Quelques jours plus tard, le 5 novembre 2019, des coups de feu sont tirés au petit matin dans les volets de la famille felletinoise. Qui fait vite le rapprochement avec les menaces reçues une semaine plus tôt.
Les gendarmes vont rapidement remonter à l’auteur des coups de feu. Un cousin installé dans la Loire que la famille soupçonne, sans le connaître vraiment. Son portable a borné à Felletin ce matin-là et la voiture qu’il conduisait a été flashée à la sortie de la ville quelques minutes après.
Interpellé le 8 novembre 1999, il va tout nier. Tout le temps. Ni menace ni coups de feu. S’il était en Creuse ce jour-là, c’est pour récupérer un achat sur le Bon Coin. Sa voiture ? Elle était peut-être là mais pas lui.
Les douilles de fusil ramassées devant la maison de Felletin et sur lesquelles on retrouve l’ADN de son ex-compagne ? Cette arme, il ne l’a pas. Son ancienne maîtresse, interrogée par les gendarmes, a confirmé que l’arme a été volée chez elle, sûrement par celui qu’elle décrit comme « un paranoïaque à demi-fou » consommateur de stupéfiants, et notamment de cocaïne.
Traumatisme familialDéféré, il est placé en détention provisoire. Un juge d’instruction est saisi. C’est une erreur du juge des libertés et de la détention qui l’aurait libéré au bout de six mois de préventive, il reste cependant placé sous contrôle judiciaire.
Cinq ans plus tard, la famille de Felletin est venue dire à la barre la terreur vécue à l’époque. Et présente toujours aujourd’hui. La petite sœur, traumatisée, qui ne s’en est jamais remise. Qui a même fugué ces derniers jours tant elle angoissait du procès. Si les parents sont absents à l’audience, c’est qu’ils sont en train de la chercher.
Des traumas que l’avocate des victimes, Me Hélène Mazure va quantifier : 5.000 € pour les dégâts matériels… 22.001 € pour les souffrances psychologiques.Pour la procureure Alexandra Pethieu, la culpabilité ne fait aucun doute : les éléments matériels sont évidents. Tout comme la lâcheté du prévenu qui ne s’est pas présenté. Il aurait mieux fait : son casier judiciaire était vierge, il aurait sûrement écopé d’un sursis.
Là, elle va requérir 14 mois de prison, dont sept avec sursis. Ce qui couvre les six mois de la préventive mais laisse donc un mois de prison ferme à exécuter par le condamné pour lequel elle réclame aussi dix ans d’interdiction de posséder une arme et de se présenter en Creuse. La procureure regrettant aussi, comme tous les présents à l’audience, qu’on n’en sache pas plus sur cette mythologie familiale du magot.Le tribunal a suivi les réquisitions.
Eric Donzé