Un projet d'étiquette qui inquiète l'interprofession saint-nectaire

L’interprofession saint-nectaire tient son assemblée générale à Super Besse (Puy-de-Dôme), ce vendredi 26 avril. Il sera notamment question d’un projet de décret sur l’étiquetage, rejeté en masse par la filière.

Quatre mois après la notification par la France, auprès de la Commission européenne, d’un projet de décret relatif à l’étiquetage des fromages fermiers, l’interprofession saint-nectaire (ISN) n’a toujours pas digéré la mesure. Et le sujet figurera nécessairement à l’ordre du jour de l’assemblée générale de la filière, ce vendredi 26 avril, à Super Besse (Puy-de-Dôme).

"Nous ne sommes pas résignés, affirme Émilie Rousset, directrice de l’ISN. Ce décret mentionne un certain nombre de contraintes qui nous semblent d’une part totalement inapplicables et qui, d’autre part, pourraient vraiment porter préjudice à la filière."

Cette nouvelle réglementation imposerait aux producteurs fermiers d’indiquer sur leur étiquette si l’affinage a été réalisé "à la ferme" ou "en dehors de la ferme". Une formulation qui surprend la directrice. "Actuellement, lorsqu’un fromage fermier est affiné en dehors de la ferme, c’est déjà mentionné sur l’étiquette. C’est écrit par exemple : “saint-nectaire fermier affiné par...”, avec le nom de l’affineur. Chez nous, la tradition d’affinage en dehors de la ferme, elle est historique." Les chiffres en attestent : plus de 80% des saint-nectaire fermiers sont affinés par des affineurs spécialisés.

"Et c’est bien le travail conjoint du producteur et de l’affineur qui va conduire à l’appellation d’origine protégée saint-nectaire", martèle Émilie Rousset.

Chez nous, tout est contrôlé. Les affineurs sont des opérateurs habilités en saint-nectaire, ils sont dans une zone d’affinage qui est définie dans le cahier des charges, géographiquement parlant, autour de notre zone de production AOP. Donc, en aucun cas, le saint-nectaire ne pourrait être affiné ailleurs en France !

Appuyée par son président Pierre Wälchli, la directrice de l’ISN relève trois points qui posent problème dans ce projet de décret. Tous liés à la mention “affiné en dehors de la ferme”. "Elle est dévalorisante pour nous car on sème le doute dans la tête du consommateur, on jette une forme de suspicion sur l’affinage et cela ne devrait pas être le cas. Au contraire, ils maîtrisent parfaitement leur sujet et ils assurent également la mise en marché du saint-nectaire, c’est aussi grâce à eux que le fromage peut être commercialisé dans la France entière."

Photo d'illustration Fred Marquet 

Deuxième pierre d’achoppement : la taille de caractère de cette fameuse mention, qui doit être équivalente à celle du mot fermier. "Cela nous obligerait à réduire la taille des mots saint-nectaire et fermier pour pouvoir faire rentrer cette mention à rallonge sur des étiquettes. Alors que pour nous, elle ne nous semble pas être sur le même niveau de lecture pour le consommateur."

Enfin, troisième point jugé "inapplicable" par l’interprofession : inscrire la mention partout, y compris sur les fromages vendus à la coupe, donc sur une portion. Incompréhension. "Même d’un point de vue matériel, on ne voit pas comment cela pourrait être possible", s’étonne la directrice.

Tout en mettant en exergue le fait que l’appellation d’origine protégée apporte "énormément de garanties" pour le consommateur – elle prend l’exemple des quelque 150 points de contrôle du cahier des charges – Émilie Rousset insiste : "On ne voit pas le sens de ces mesures." Mesures qui, précisons-le, concernent d’autres filières comme le salers, le reblochon ou le munster. Mais, rappelle-t-elle :

Nous sommes très concernés parce que nous sommes la première filière fermière française, avec plus de 200 exploitations et près de 8.000 tonnes de saint-nectaire fermier fabriquées chaque année.

Et maintenant ? Les acteurs de la filière attendent toujours une réponse sur l’application ou non de ce décret. "La dernière communication que l’on a eue de la part du Conseil national des appellations d’origine laitières, confie Pierre Wälchli, c’est qu’une position officielle pourrait être prise courant juin. Alors nous allons continuer notre lobbying. Même si nous avons l’impression d’avoir épuisé toutes nos cartouches." Les professionnels du saint-nectaire ont interpellé les medias, le préfet et une députée du Puy-de-Dôme, deux ministres... En vain. Pour l’instant, ce projet d’étiquette leur reste en travers de la gorge.

"Une baisse de consommation assez marquée"

Le sujet de l’étiquetage ne sera pas le seul à l’ordre du jour de l’assemblée générale de l’interprofession du saint-nectaire. "Nous avons, sur le premier trimestre, une baisse de consommation assez marquée, relève la directrice Émilie Rousset. Sur les ventes hors local, nous sommes autour des -5% sur les deux derniers mois, par rapport à l’an dernier. Ce sont des tendances que l’on n’avait pas vues depuis longtemps. En saint-nectaire, on est plutôt sur une croissance continue."

Photo d'illustration Francois Xavier Gutton

Cela peut s’expliquer par les arbitrages des consommateurs qui préfèrent se tourner vers des fromages comme le camembert, plus "abordable" et dont le prix est plus lisible en rayon grâce à son emballage. "Le saint-nectaire, explique le président de l’interprofession Pierre Wälchli, c’est un produit qui se vend essentiellement à la coupe. Et ce rayon-là souffre en ce moment en grande surface".

Thierry Senzier