Pourquoi il faut surveiller le virus de la grippe aviaire dans le monde comme le lait sur le feu
Alors que des vaches laitières ont été, pour la première fois, infectées aux États-Unis, rien ne semble arrêter la propagation de la grippe aviaire. Avec l’épée de Damoclès d’une contamination d’homme à homme.
Le 18 avril dernier, le directeur scientifique de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), Jeremy Farrar, n’y est pas allé par quatre chemins, parlant d’une « énorme inquiétude » au sujet de la propagation mondiale du virus de la grippe aviaire, avec, en filigrane, la crainte d’une contamination humaine de grande ampleur. De quoi réveiller les fantômes du Covid 19.
En France, le niveau d’alerte est monté d’un cran, mi-avril, quand le Covars (Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires) a classé le H5N1 comme « risque sanitaire exceptionnel numéro 1 ».
Mais les autorités scientifiques hexagonales se refusent à verser dans le catastrophisme. « La surveillance et les actions menées, lorsque l’on détecte un foyer d’infection chez des animaux en contact avec l’homme, font que les choses aujourd’hui se passent plutôt bien et que l’on n’a pas de conséquences humaines à la circulation de ce virus. Après, il circule de manière extrêmement importante », tempère Bruno Lina, membre du Covars.
"Moins inquiets que l'an passé"Le professeur de virologie au CHU de Lyon se veut même plutôt rassurant sur la situation en France et en Europe. « Par rapport à il y a deux mois, nous n’avons pas franchi un palier. En 2023, nous avons eu une épizootie chez les oiseaux sauvages et d’élevage dans notre pays qui a conduit à l’abattage de millions de volailles pour contrôler la circulation du virus en Europe. Cette année, ce n’est pas le cas du tout. En France, grâce à la campagne de vaccination des élevages de canards, le nombre d’élevages infectés est en chute libre. Nous sommes moins inquiets que l’an passé », précise-t-il.
Les signaux négatifs sont plus à chercher de l’autre côté de l’Atlantique. « En Amérique du Nord et du sud, la prolifération du virus chez les oiseaux sauvages a conduit à une contamination d’autres espèces, en particulier de mammifères marins et ce, de manière massive. Au début de l’hiver, des colonies entières de phoques avaient été décimées sur les côtes chiliennes par le H5N1 », mentionne Bruno Lina.
Le virus de l’influenza aviaire est désormais présent sur l’ensemble de la planète. Mais la grande nouveauté est l’infection de vaches laitières aux États-Unis.
« Des élevages de bovins et de caprins ont été touchés de manière assez significative. Cela concerne seize exploitations dans six États différents. Or, la transmission du H5N1 à des bovins, c’est quelque chose que l’on n’avait pas vu jusqu’à maintenant.Bruno Lina, virologue. Photo Covars
La deuxième chose, intervenue au Texas, c’est qu’au contact du lait contaminé d’une vache, un ouvrier agricole a été infecté et a développé une conjonctivite virale », poursuit le scientifique.
"La France a réduit très fortement la circulation du virus"Les yeux et les poumons sont les deux portes d’entrée par lequel le virus peut infecter l’homme. Mais la voie pulmonaire est la plus dangereuse. « Si l’on fait le bilan des contaminations humaines entre 2003 et 2024, sur les 880 cas, une immense majorité des gens ont fait une infection pulmonaire grave puisque plus de 50 % en sont morts. Quand on est touché, le pronostic n’est pas bon au contraire de la conjonctivite qui est sans danger », rappelle Bruno Lina.
Grâce à sa politique de vaccination dans les élevages de canards, la France, pionnière en la matière, a réduit très fortement la circulation du virus et donc les risques d’infection des éleveurs, en première ligne. La principale inquiétude des scientifiques est que le H5N1 parvienne à muter au point d’être transmissible non plus d’un animal à un humain mais d’humain à humain.
« Pour rendre possible cette transmission par voie aérienne, il faudrait une mutation de la protéine hémagglutinine, l’équivalent de la protéine spike avec le coronavirus qui permet de s’attacher aux récepteurs. Or, aujourd’hui, les virus de la grippe aviaire ne sont pas capables de s’attacher sur les récepteurs des cellules humaines qui se trouvent au niveau des voies aériennes supérieures »
rassure Bruno Lina.
Candidats-vaccins qui offrent une protectionL’infectiologue appelle, pour autant, à ne pas baisser la garde. « Il faut continuer à surveiller l’extension de la circulation du virus H5N1 aussi bien chez les oiseaux sauvages que dans les élevages de volailles. Si, jamais, nous avons des élevages contaminés, il faut, là aussi, continuer à éliminer les animaux atteints et mettre en place des mesures pour freiner la diffusion. Et enfin, surveiller les personnels en contact avec les animaux malades afin de vérifier qu’ils ne font pas une infection silencieuse. Car ce type d’infection peut permettre au virus d’acquérir les fameuses mutations qui rendraient le virus transmissible d’homme à homme », énumère-t-il.
Une perspective effrayante, pour l’instant hypothétique mais prise très au sérieux. L’OMS met à jour tous les six mois un registre de candidats-vaccins qui offrent une protection contre le virus H5N1 et permettraient de lancer une production de masse en cas de scénario noir.
Dominique Diogon