Tunisie : vague d'arrestations après l'interpellation d'une avocate en direct sur France 24
Deux chroniqueurs de radio et télévision connus en Tunisie ont été placés en détention dimanche 12 mai pour des critiques de la situation du pays. La veille, l'interpellation musclée en direct sur France 24 d'une avocate et commentatrice avait eu lieu pour les mêmes motifs.
Interpellés samedi soir, Borhen Bssais, présentateur à la télévision et à la radio, et Mourad Zeghidi, commentateur politique, font l'objet depuis dimanche d'un mandat de dépôt pour diffusion de "fausses informations (...) dans le but de diffamer autrui ou porter atteinte à sa réputation", a indiqué à l'AFP le porte-parole du tribunal de Tunis, Mohamed Zitouna.
"Entrave à la liberté de la presse"Leur interpellation a coïncidé avec celle de Sonia Dahmani, avocate et chroniqueuse, voix critique connue du président Kaïs Saïed. Son arrestation mouvementée au sein de la Maison de l'avocat, où elle s'était réfugiée entourée de collègues, a été filmée en direct par la chaîne française France 24 avant l'interruption de la liaison par des policiers.
Le bâtiment a été "pris d'assaut par des dizaines d'agents des forces de sécurité masqués, qui ont fait usage de violence", a protesté devant la presse Laroussi Zguir, président de la section de Tunis de l'Ordre des avocats, réclamant la "libération immédiate" de Maître Dahmani et annonçant une grève des avocats à partir de lundi.
La chaîne publique d'information France 24 a de son côté dénoncé l'attitude des policiers qui ont interrompu l'intervention de sa correspondante, "arraché la caméra de son trépied" et arrêté pour "une dizaine de minutes" son caméraman. France 24 a "condamné fermement cette entrave à la liberté de la presse et cette intervention brutale et intimidante des forces de l'ordre empêchant ses journalistes d'exercer leur métier".
— Achren Verdian (@AchrenVerdian) May 11, 2024"Fausses nouvelles"Les trois chroniqueurs détenus sont poursuivis en vertu du décret 54, promulgué en septembre 2022 par le président Saïed pour réprimer la diffusion de "fausses nouvelles". Le texte est critiqué par les défenseurs des droits tunisiens et internationaux, car sujet à une interprétation très large. En un an et demi, plus de 60 personnes, dont des journalistes, des avocats et des opposants au président, ont fait l'objet de poursuites sur la base de ce texte, selon le Syndicat national des journalistes.
Dimanche matin, environ 300 personnes se sont rassemblées à Tunis à l'appel du Front de salut national (FSN), principale coalition d'opposition, pour demander la "libération des détenus politiques", alors qu'une quarantaine de personnes dont plusieurs responsables du FSN sont détenues, pour certains depuis février 2023, pour "complot contre la sûreté de l'État".
Depuis que le président Saied, élu démocratiquement en octobre 2019 pour cinq ans, s'est octroyé les pleins pouvoirs lors d'un coup de force en juillet 2021, des ONG tunisiennes et internationales ont déploré une régression des droits en Tunisie.