L'impressionnant bras de fer entre le président et le premier ministre de Somalie
Des militaires lourdement armés se sont déployés mardi dans des secteurs stratégiques de Mogadiscio, alors que la Somalie s’enfonce dans une crise politique.
Des soldats loyaux au Premier ministre Mohamed Hussein Roble ont pris position aux alentours du palais présidentiel, au lendemain de l'annonce de sa destitution par le président Mohamed Abdullahi Mohamed, alias Farmajo. "Ils ne sont pas loin des principaux check-points entourant le palais présidentiel, ils sont équipés de mitrailleuses lourdes et de lance-roquettes", a affirmé un résident du quartier.
Bras de fer entre deux puissants
Entamé il y a plusieurs mois, le bras de fer entre le Président, 59 ans, et son Premier ministre, 58 ans, s'est durci ces derniers jours. Le président Farmajo a d'abord retiré samedi à son Premier ministre la charge d'organiser les élections attendues depuis le début de l'année, puis, lundi, l'a "suspendu" en l'accusant d'être impliqué dans une affaire de corruption.
Le Premier ministre Roble a répliqué lundi en accusant le Président de chercher à commettre "un coup d'État contre le gouvernement, la Constitution et les lois du pays". "Comme le Président a apparemment décidé de détruire les institutions gouvernementales […], j'ordonne à toutes les forces nationales somaliennes de travailler sous le commandement du bureau du Premier ministre à partir d'aujourd'hui", a déclaré Roble lors d'une conférence de presse lundi.
"Certains milieux politiques et chefs traditionnels ont commencé à discuter avec les deux camps pour désamorcer la crise, mais les efforts sont toujours en cours", a indiqué, sous couvert d'anonymat, un responsable au sein du bureau présidentiel.
Washington "prêt à intervenir"
La section Afrique du département d'État américain a affirmé lundi que Washington était "prêt à intervenir contre ceux qui font obstruction sur le chemin de la paix en Somalie". "La tentative de suspension de Mohamed H. Roble est inquiétante et nous soutenons ses efforts en faveur d'élections rapides et crédibles", a ajouté sur Twitter le département d'État américain en appelant "toutes les parties à éviter l'escalade dans leurs actions et dans leurs déclarations".
Un espoir déçu
Lors de son élection en février 2017, Farmajo incarnait l’espoir, malgré un processus électoral entaché de nombreuses accusations de corruption et manipulations de vote : il était issu du clan Darod, après plusieurs prédécesseurs Hawiyes. De son bref passage au poste de Premier ministre - huit mois en 2010 et 2011 -, la population se souvenait d’un homme ayant créé une commission anticorruption et introduit des salaires mensuels pour les soldats.
"C'est le début de l'unité pour la nation somalienne, le début de la lutte contre les (djihadistes) Shebabs et contre la corruption", avait-il assuré.
Partisan d’un État centralisé fort, il a tenté d’influer sur plusieurs élections dans les États semi-autonomes du pays pour y placer ses alliés. Par ailleurs, les Shebabs n’ont pas été particulièrement inquiétés et Mogadiscio ne contrôle toujours qu’une faible portion du territoire, avec l’aide cruciale de la force de l’Union africaine en Somalie (Amisom).
Succès pour le Premier ministre
Farmajo n’est pas parvenu à organiser des élections avant la fin de son mandat, le 8 février dernier. La prolongation de celui-ci pour deux ans, votée mi-avril par le Parlement, avait provoqué des affrontements armés.
La nomination en septembre 2020 de Mohamed Hussein Roble a fait l’unanimité au Parlement. Novice en politique, il est réputé pour sa connaissance de la complexité du pays.
Les négociations pour l’organisation des élections, dont l’a chargé Farmajo, l’ont placé au centre du jeu politique : il était parvenu à un accord sur un calendrier électoral, ce que Farmajo n’avait pas réussi à faire. Les deux hommes se sont ensuite opposés sur de nombreux sujets.