Fondre la statue de Léopold II à Bruxelles, bonne ou mauvaise idée? "L'histoire ne s'efface pas"
Le débat sur la décolonisation de l'espace public suscite de vives réactions.
Dans un rapport rendu ce jeudi
, le groupe d'experts bruxellois en charge d'étudier la décolonisation de l'espace public a établi une série de recommandations. Parmi celles-ci, notamment, la mise en place de journées commémoratives des victimes de la colonisation, la création de nouveaux monuments en leur mémoire ou l'ouverture d'un musée de Bruxelles en tant que ville coloniale.
Dans ce rapport de 256 pages, le groupe mandaté par le Parlement bruxellois a également évoqué le sort de certaines statues controversées, comme celle du Roi Léopold II située sur la place du Trône dans la capitale. Si les experts privilégient une analyse au cas par cas, ils n'écartent ici pas l'option d'une fonte de la statue équestre.
Si cette proposition est loin d'être entérinée et doit encore être débattue au sein de la majorité, elle fait déjà couler beaucoup d'encre. Sur le plateau de " C'est pas tous les jours dimanche ", le ton est d'ailleurs monté entre les interlocuteurs.
Georgine Dibua Mbombo, membre de la commission bruxelloise pour la décolonisation de l'espace urbain, accueille favorablement l'option de la fonte. " La fonte répare et rend justice à ceux dont on ne parle pas ", a-t-elle estimé. " Il faut savoir que ce monument est l'un des plus contestés. Quand on parle de fonte, moi, je comprends qu'il y ait des réticences, mais dans plusieurs villes de Flandre, on a enlevé des monuments, ils ne sont plus là. Donc pourquoi pas à Bruxelles ", s'est interrogée celle qui est également membre de l'asbl Bakushinta, qui oeuvre à la promotion et à la valorisation des cultures congolaises.
"C'est se mettre la tête dans le sable"
Pour Alexia Bertrand, cheffe de groupe MR au Parlement bruxellois, l'idée d'une fonte de la statue est complètement exclue. "
Les personnes qui veulent faire fondre la statue de Léopold II réalisée par Thomas Vinçotte sont avant tout des activistes, avant d'être des experts ou des historiens",
a-t-elle martelé. Et de poursuivre:
"L'histoire ne s'efface pas. L'histoire, on doit la conceptualiser, on doit l'expliquer, on doit l'enseigner. Ici, ce sont des vestiges du passé, on est tombé dans le domaine de l'histoire et du patrimoine et plus de la glorification. La question est toujours: jusqu'où va-t-on? Est-ce qu'on doit balancer aux ordures les tableaux de toute une série de personnages ?",
s'est interrogée l'élue libérale en citant toute une série de héros controversés de l'histoire qui ont persécuté certaines populations.
"Je
pense que ce n'est pas la bonne réponse. On n'efface pas les traces de l'histoire
", a-t-elle conclu, tout en proposant l'installation de QR codes dans l'espace public, qui pourraient expliquer et contextualiser la période de colonisation.
Enfin, le secrétaire d'Etat fédéral à la Relance et chargé de la Politique scientifique, Thomas Dermine (PS), a également livré son avis. Le socialiste, qui œuvre pourtant à la restitution d'objets "acquis illégalement" lors de la période coloniale, estime que la fonte n'est pas l'option idéale. " Faire fondre une statue, c'est se mettre la tête dans le sable. C'est nier que ce passé a existé et c'est rater une occasion de le recontextualiser pour les plus jeunes, et d'expliquer les dérives du passé pour éviter qu'elles ne se reproduisent ". Le secrétaire d'Etat plaide ainsi pour le maintien de la statue, mais accompagnée d'un encart explicatif.
Effacer certains symboles est contre-productif et revient à nier un passé qui a existé. C’est aussi rater l’occasion de contextualiser et de reconstruire un dialogue avec ce passé et ceux qui en ont souffert. https://t.co/p1VL8X5fhj
— Thomas Dermine (@ThomasDermine) February 18, 2022