La forêt communale de Guéret va devoir planter futé pour adapter sa futaie au climat

En Creuse, le dérèglement climatique s’est invité dans le nouveau plan d’aménagement de la forêt de Guéret. Tester sa résilience naturelle mais aussi l’adapter au climat à venir : c’est tout l’enjeu de la municipalité et de l’ONF.

« Notre forêt communale est vraiment capitale pour nous, on y est très attaché », confie Marie-Françoise Fournier, maire de Guéret, dont un pied est de granite et l’autre… de futaies. « On est complètement au milieu de notre forêt », sourit-elle, rappelant que des sentiers de randonnée relient Chabrières jusqu’au cœur de ville.

« C’est pour nous un enjeu fondamental de la protéger parce qu’elle a un rôle écologique primordial et qu’elle fait aussi partie de notre attractivité. C’est notre écrin. »

Un écrin vivant, qui demande une gestion toute particulière car les lieux sont aussi très fréquentés par les randonneurs, sportifs et touristes et recoupent six points de captage d’eau potable. Les peuplements de résineux plantés dans les années 1970 arrivent à maturité et doivent être renouvelés, quand les populations de feuillus, pour certaines très âgées, font face à des problèmes de renouvellement naturel.@Mathieu Tijeras

La municipalité a dû réfléchir, avec les gestionnaires de l’ONF, à l’avenir de ces 360 hectares, en prenant en compte un enjeu qui était absent du précédent plan d’aménagement : le dérèglement climatique.

Du fait de sa situation, aux portes de Guéret, cette forêt communale est très fréquentée par les randonneurs, les sportifs et les touristes, elle dispose de nombreux équipements d’accueil aux sports nature. C’est aussi le château d’eau de la commune et des environs avec six captages d’eau forestière. « Il y a le pan production de bois, mais aussi le pan protection, environnemental, captage d’eau. C’est une forêt qui illustre parfaitement la multifonctionnalité de la forêt », résume Bruno Boucheix, responsable de l'Unité territoriale de l’ONF à Guéret.

« L’ONF a préféré nous proposer un nouveau plan volontairement réduit de cinq ans justement parce que l’avenir climatique est très, très incertain »

Ce nouveau plan d’aménagement courra de 2024 à 2038, « en sachant qu’il peut être révisable à n’importe quel moment. On ne sait pas de quoi demain sera fait, il faut que l’on arrive à adapter notre plan à la réalité », explique la maire de Guéret.

@Mathieu Tijeras

La forêt commence effectivement à montrer des signes clairs de dépérissement dans certains secteurs et sur certaines essences, notamment les hêtres, le douglas et les sapins pectinés ; les châtaigniers aussi sont en mauvais état. La canicule de 2023 a marqué un tournant, emportant avec lui, déjà, le sapin de Vancouver planté il y a 50 ans.

« Le hêtre nous pose souci, c’est une espèce de montagne qui a toujours été présente ici mais qui devient vulnérable », note également Jean-Philippe Lavergne, aménagiste de l’ONF. 

« On avait un climat plutôt très humide et plutôt froid dans les Monts de Guéret mais c’est de moins en moins vrai et petit à petit, on voit les signes du changement climatique. »

Des cimes qui perdent en vigueur, « des débuts de calvitie et surtout des faines, quand on en a, qui ne germent pas au sol ». L’ONF compte malgré tout aussi sur la transmission de la mémoire génétique de ces arbres, qui pour certains, ont plus de 120 ans. « On fait quand même le pari qu’il en a quelques-uns qui arriveront à s’adapter sur certaines parcelles », confie Bruno Boucheix, responsable de l’Unité territoriale de l’ONF.

Miser, pour certaines essences, sur ce renouvellement déjà installé, le voir évoluer et étudier sa capacité d’adaptation et pour les autres, décider, au moment de leur récolte, si on replante la même essence ou si on en change parce qu’elle devient vulnérable face au climat. « On prendra une décision en fonction des éléments de connaissance qu’on aura à ce moment-là et des observations qu’on aura pu faire », explique Jean-Philippe Lavergne.

@Mathieu Tijeras

La municipalité a souhaité laisser cinq hectares de forêt en libre évolution, où l’intervention humaine sera proscrite. « On veut essayer de voir comment nos espèces naturelles, sans intervention humaine, essaient de s’adapter, de mesurer aussi l’impact de l’homme sur la forêt, la faune et la flore », explique la maire de Guéret. Étudier ce qui va bien, ce qui souffre, « ça nous donnera une idée de ce que l’on doit faire sur le reste de la forêt », ajoute Henri Leclere.

Parmi ces observations qui guident l’ONF, outre la donnée “climat”, il y a la donnée “sol”, « fondamentale », insiste l’aménagiste. Les chênes et les hêtres par exemple, ne seront conservés que « sur de très bonnes stations au sol profond » qui réunissent les meilleures conditions pour leur développement.

Sur des sols plus superficiels, il faudra privilégier un changement d’essence. Rentre également en compte la donnée “réserve utile en eau”, la quantité d’eau que le sol peut absorber et restituer à l’arbre, capitale avec une pluviométrie de plus en plus imprévisible.

Vers des forêts creusoises "naturellement" résistantes à la sécheresse ?

L’ONF s’appuie également sur des outils qui intègrent les scenarii du Giec et permettent de se projeter à un horizon temporel donné. « Ça nous permet de regarder si les essences que l’on a en place sont adaptées à un horizon 2050, 2070. » Reste malgré tout les incertitudes concernant les problèmes sanitaires qui peuvent surgir, eux-mêmes parfois liés à la donne climatique.

« L’idée, c’est que notre forêt s’adapte doucement au dérèglement climatique sans qu’on ait brutalement des déperditions d’arbre en masse ou des effets qu’on aurait du mal à contrôler. »

Composée de quinze essences et de 42 types de peuplements différents, la forêt communale de Guéret est un exemple de forêt diversifiée. Elle s’apprête à l’être plus encore pour faire face au dérèglement climatique.

« Aujourd’hui, les maîtres mots c’est de diversifier les essences, les structures, les modes de traitement (parcelles de production, îlots de sénescence, évolution naturelle) pour adapter au mieux la forêt au dérèglement climatique, donc on a déjà une corde de tendue à l’arc », explique Jean-Philippe Lavergne.@Mathieu Tijeras

Pour garantir sa pérennité, l’ONF a proposé à la municipalité des associations d’essences dans le cas de reboisement. Toujours en étudiant les contraintes du sol, de la réserve utile en eau, du climat et du tempérament des essences.

« L’adaptation de la forêt au changement climatique, elle passe par la recherche de la diversité. Cette diversité, elle va encore augmenter avec les nouveaux mélanges que l’on va introduire. On a cherché des associations d’essences qui soient capables de tenir sur les sols, en fonction des données que l’on a. »

La plupart du temps un résineux et un feuillu (*), une essence destinée à la sylviculture et une seconde dans un objectif cultural, « au cas où la première ait des problèmes sanitaires ou d’adaptation au climat ».

@Mathieu Tijeras Le pin maritime et le robinier pour les sols les plus contraints, le pin sylvestre, le sapin de Bornmüller ou le cèdre de l’atlas en association avec le chêne pubescent, le pin laricio ou le chêne rouge pour les sols où la réserve utile en eau est un peu plus importante. Pour les stations aux sols plus profonds, le chêne sessile associé au charme ou le séquoia associé au tilleul à petites feuilles et enfin pour les meilleures stations, des feuillus en duo (chêne sessile, merisier, érable sycomore, tilleul à petites feuilles).

En surveillant toujours, tous les paramètres : le pin maritime annoncé par exemple dans les essences proposées, « à l’horizon 2080 sans doute », prévient l’ONF, mais pas tout de suite car les fortes gelées qui ont toujours cours pourraient détruire tout un peuplement. 

Texte : Julie Ho Hoa julie.hohoa@centrefrance.com Photos : Floris Bressy, Bruno Barlier & Mathieur Tijeras