"Gabriel Attal est une chance de survie pour le macronisme après Macron", selon l'éditorialiste Alain Duhamel
Surdoué, politique jusqu’au bout des ongles, excellent orateur, fidèle parmi les fidèles du Président, Gabriel Attal coche presque toutes les cases. Mais selon l’éditorialiste Alain Duhamel, le plus jeune Premier ministre de la Ve République est face à un défi majeur : « exister par lui-même ».
Observateur privilégié de la vie politique hexagonale depuis plus de six décennies, Alain Duhamel analyse toujours avec la même malice, la même finesse, les soubresauts au sommet du pouvoir.Le remplacement d’Élisabeth Borne était, selon lui, devenu inéluctable. "Elle a été la victime ou le bouc émissaire, c’est selon, de la crise politique dans laquelle nous nous trouvons depuis l’adoption de la loi immigration. Visiblement, il fallait prendre une initiative qui symbolise un changement. Il va y avoir dans la deuxième quinzaine de janvier les annonces d’Emmanuel Macron pour tenter de donner un nouveau souffle à son quinquennat. Il y a une forme d’injustice car elle a été une Première ministre tout à fait convenable. Elle connaissait ses dossiers, elle était franche, elle travaillait presque exagérément. Simplement, ce n’est pas une femme politique. Elle n’est pas du tout éloquente. Elle n’est pas à l’aise au Palais Bourbon. Et elle n’est pas commode", énumère le journaliste politique.
"Il faudra qu'il existe par lui-même"Autant de points faibles qui sont justement les points forts de Gabriel Attal. "Il faut espérer qu’il n’a pas été choisi uniquement à cause de cela. Car on voit bien les raisons pour lesquelles il a été préféré à d’autres. Il est nettement plus populaire. Ce qui est intéressant, c’est qu’il a réussi sa percée dans l’opinion à un moment où tout ce qui touchait au macronisme était en difficulté. Autrement dit, il a percé à contre-courant. Ensuite, il est doué pour la politique, il s’exprime bien, il aime ça, il est malin. Tout cela ne fait aucun doute", analyse l’éditorialiste.
Mais, selon Alain Duhamel, malgré toutes ses qualités, le plus jeune Premier ministre de la Ve République est face à un défi de taille. "Il faudra qu’il existe autrement que comme reflet présidentiel. Il faudra qu’il existe par lui-même. C’est là qu’il sera attendu. Il y a un domaine où il a visiblement envie de le faire, c’est tout ce qui touche à l’Éducation nationale."
"Le premier à ne pas être un haut fonctionnaire"Gabriel Attal semble disposer d’un atout inédit. "C’est le premier locataire de Matignon sous Macron à ne pas être un haut fonctionnaire. Il est plus tourné vers la vie réelle et moins sur la connaissance des structures, enchaîne l’ancien journaliste au Monde. Sa nomination est d’autant plus cohérente qu’il est issu du macronisme et qu’il l’incarne bien. S’il existera sans aucun doute dans les médias, car c’est un bon client, son principal problème sera de prouver son apport spécifique."Pour Alain Duhamel (ici à gauche au Sénat), Emmanuel Macron a intérêt à ce que Gabriel Attal réussisse "car c'est une arme et non pas un concurrent dans la mesure où il ne peut pas se représenter". Reste que le nouveau Premier ministre devra composer avec la même équation politique qu’Élisabeth Borne, avec une absence de majorité à l’Assemblée nationale. "Pourquoi réussirait-il là où sa prédécesseure a échoué ? Peut-être qu’il ne réussira pas, sourit l’éditorialiste. Il ne peut réussir que s’il existe par lui-même et qu’il a l’occasion de mettre en œuvre un nouveau paquet de réformes. Le pire serait qu’il devienne une espèce de clone du président. Il faut qu’il se différencie sans s’opposer. C’est possible mais il faut que ce soit calé. C’est dans l’intérêt d’Emmanuel Macron qu’il y parvienne car c’est une arme et non pas un concurrent dans la mesure où il ne peut pas se représenter."
"Une arme anti-Bardella"À moins de deux ans et demi de la prochaine présidentielle, la nomination de Gabriel Attal n’a rien d’anodine, d’abord face aux forces autres politiques mais aussi au sein de la Macronie. "Attal est une arme anti-Bardella et on le verra dès la campagne des européennes. Mais il peut aussi être une arme contre ceux qui, dans le camp macronien, ont envie, comme Édouard Philippe, d’être candidat. Parce que s’il réussit, cela posera un problème. Le principal risque pour le camp présidentiel, c’est qu’il y ait deux bons candidats en même temps. La situation est incroyablement ouverte et angoissante car l’on ne peut pas exclure que cela se termine par un deuxième tour Mélenchon ou Ruffin face à Marine Le Pen. Gabriel Attal est une chance de survie pour le macronisme après Macron. Idéologiquement, c’est même son héritier. Mais il ne faudrait que cela débouche sur un duel fratricide qui divise les forces", met en garde Alain Duhamel.
Dominique Diogon
Photos : AFP / Ludovic Marin et Christelle Besseyre