Pourquoi les élections à Taïwan se dessinent tout en ombre chinoise
Près de vingt millions d’électeurs taïwanais sont appelés aux urnes demain samedi pour élire un nouveau président et renouveler le parlement. Si le candidat du parti au pouvoir, le PDP, est donné légèrement favori, il est talonné par celui du Kuomintang, favorable à des relations plus étroites avec Pékin. Un choix crucial pour l’avenir de l’île et du monde.
Alors que la République populaire de Chine montre ses muscles et intensifie la pression militaire, diplomatique et économique sur Taïwan, les élections présidentielle et parlementaire demain samedi vont se dérouler sous l’ombre écrasante du puissant voisin. Une échéance électorale qui fera date dans l’histoire de l’île, selon Mary-Françoise Renard, professeur émérite à l’Université de Clermont Auvergne (UCA) et spécialiste de la Chine.
1. Le contexte« Le parti au pouvoir est le PDP (Parti démocratique progressiste), celui de la présidente Tsai Ing-Wen, qui ne peut pas se représenter après deux mandats. Son successeur désigné par les instances du PDP, William Lai, prône le statu quo avec Pékin. Pendant longtemps, ce parti a défendu l’idée qu’il fallait une indépendance de l’île qui serait la garante d’un régime démocratique par rapport à un régime autoritaire. Aujourd’hui, le PDP ne défend plus formellement l’indépendance parce qu’il considère, selon le discours officiel, que Taïwan a déjà les caractéristiques d’un État indépendant. Le premier parti d’opposition, le Kuomintang, représenté par Hou Yu-Ih, reconnaît qu’il n’y a qu’une seule Chine mais a milité pendant longtemps pour une réunification avec Pékin. Ce qu’il ne réclame plus, en premier lieu pour des raisons électorales, car c’est très impopulaire. Dans un récent sondage, 87 % des Taïwanais se déclarent favorables au maintien du statu quo. Le candidat populiste du troisième parti, le parti populaire taïwanais, Ko Wen-Je, est sur la même ligne. Aucune autre position n’est audible dans la mesure où une grande majorité de la population se revendique désormais comme taïwanaise. Ce qui amène les partis politiques à avoir des positions moins tranchées que par le passé entre indépendance ou réunification. Le discours est beaucoup plus modéré et réaliste, c’est le statu quo. »
2. Deux scrutins très incertains« Le nouveau discours du PDP, c’est qu’il estime défendre la liberté et la démocratie. Alors que le Kuomintang estime, lui, protéger la paix parce qu’il peut rouvrir le dialogue avec Pékin et qu’ainsi Taïwan sera plus à même d’éviter la guerre. Les derniers sondages donnent William Lai du PDP à 38 % et Hou Yu-Ih du Kuomintang à 35 %. C’est donc très serré, le troisième candidat, Ko Wen-Je, étant crédité de 22 %. L’incertitude pour le scrutin présidentiel tient aussi au fait qu’il y a toujours une usure du parti au pouvoir et des gens mécontents. Les jeunes considèrent notamment que les débats sur la relation avec la Chine ne les concernent pas, que les vrais sujets sont l’inflation et les problèmes de logement. Ils voudraient des réponses concrètes. Ce qui fait qu’ils sont souvent séduits par Ko Wen-Je et son parti, aux propositions populistes et parfois contradictoires. Mais grâce à un travail de terrain et en disant ce que les gens avaient envie d’entendre, Ko a gagné un certain nombre de voix. Or, le PDP a alerté les électeurs sur les risques en cas de dispersion. D’où un gros suspense sur les résultats. Le problème, c’est que comme les élections législatives se déroulent en même temps, vous pouvez avoir un président issu du PDP mais sans majorité au parlement, avec le risque que ses décisions soient bloquées. Ce cas de figure s’est déjà présenté dans le passé quand le Kuomintang avait empêché le vote des dépenses de défense. C’est donc deux scrutins très importants. »
3. Le jeu de Pékin« Pékin est très mécontent parce qu’aucun des trois candidats ne prône la réunification. Le gouvernement chinois va utiliser tous les moyens pour mettre la pression. On a vu l’histoire des ballons. Mais il y a aussi les réseaux sociaux et TikTok qui servent à répandre des contre-vérités et de fausses informations. Les autorités taïwanaises ont même créé des ateliers sur le danger de la désinformation. De gros efforts sont donc faits pour contrer ces ingérences. Mais il est très difficile de savoir quelle proportion de la population taïwanaise est sensible à la propagande chinoise qui rabâche en substance : “on essaie de vous faire peur avec la réunification. Les choses continueront comme avant et vous serez bien au sein d’une grande puissance”. Il existe quand même un très fort sentiment d’identité taïwanaise.
4. Le rôle des États-Unis
« Le statu quo est la meilleure chose pour les Taïwanais et le reste du monde car, en cas de conflit, on ne sait pas très bien comment les choses pourraient se passer. La position des États-Unis n’est pas très claire. Les relations entre l’île et Washington sont régies par le Taïwan regulation act de 1979, au terme duquel les Américains fournissent à Taïpei ce qui est nécessaire à sa défense.
Il est également stipulé que les États-Unis empêcheront toute remise en cause unilatérale du statu quo par Pékin. Mais comment, avec quels moyens, c’est très difficile de répondre. Pour l’instant, l’armée américaine est assez nettement supérieure à l’armée chinoise. Mais il y a différentes façons d’intégrer un pays, notamment par le biais économique et la création d’infrastructures, sur le modèle de ce qui avait été mis en place pour absorber Hong Kong, à la différence près que l’ancienne colonie britannique appartenait géographiquement à la Chine. »
Dominique Diogon