Pourquoi la loi Égalim n'a pas réussi (jusqu'ici) à amener une juste rémunération aux agriculteurs
L’application de la loi Égalim, qui devait sanctuariser les coûts de production des agriculteurs dans la fixation du prix et permettre une juste rémunération, arrive en tête des revendications des syndicats. En cause, notamment, le comportement de la grande distribution qui contournerait la loi en utilisant des centrales d’achat basées à l’étranger.
Depuis quelques jours, un post fait le buzz sur les réseaux sociaux. On y voit Michel-Édouard Leclerc (MEL) en photo dans une Alerte enlèvement détournée. "MEL a disparu en pleine crise du secteur agricole. Si vous avez des informations, prévenez les médias. Signe particulier : MEL contourne la loi Égalim en passant par des centrales d’achat étrangères pour ne pas payer les agriculteurs au juste prix", peut-on lire en légende.Derrière la parodie grinçante et le joli coup de griffe à l’omniprésent communicant de l’enseigne éponyme, c’est la grande distribution dans son ensemble, à l’approche de la fin des négociations commerciales le 1er février, qui est dans le viseur des organisations agricoles.
"Quelque chose qui n'est pas fini"En cause, l’application de la loi ou plutôt des lois Égalim (EGA), puisque nous en sommes aujourd’hui à la troisième mouture de ce dispositif législatif, dont la philosophie de départ est de rémunérer les agriculteurs en fonction de leurs coûts de production en rendant le prix de la matière première agricole non négociable."On ne peut pas parler d’échec mais de quelque chose qui n’est pas fini, avance Patrick Bénézit, vice-président de la FNSEA, en charge du dossier. Égalim a surtout permis aux industriels d’augmenter leurs prix. Mais l’objectif de respecter les coûts de production n’a été atteint dans aucune filière. Ce qui pose problème, c’est la sacralisation du prix de la matière première agricole. Au lieu de prendre en compte les indicateurs de référence retenus par la loi, à savoir ceux validés par les instituts ou les interprofessions, c’est le plus souvent le prix de marché qui est utilisé. Certaines enseignes ont même établi leurs propres indicateurs. Pour terminer le boulot, il faut absolument que le législateur réaffirme l’obligation de prendre en compte ces indicateurs de référence comme la loi EGA 2 l’a acté et qu’ils ne puissent plus être contournables."
"Les prix de marché restent rois"Du fait du flou artistique qui règne, l’application des lois EGA se fait au bon vouloir des différents acteurs. « Concrètement, sur le lait par exemple, les indicateurs peuvent ne pas être utilisés, poursuit Patrick Bénézit. Nous l’avons vu avec Lactalis qui a remis en cause ces derniers. En viande, les prix de marché restent rois. On note toutefois quelques initiatives intéressantes dans certains magasins de plusieurs enseignes ; il y a donc des choses conformes. Mais cela reste extrêmement limité, marginal. »D’où un manque à gagner très important pour les agriculteurs. "Si l’on prend l’exemple d’une vache charolaise. L’indicateur de coûts de production est au-dessus de 6 € le kilo, plus près des 6,20 €. Mais comme c’est le prix de marché à 5,50 € qui s’applique, les éleveurs perdent entre 200 et 300 € par bête. Vous multipliez cela par le nombre d’animaux vendus par an et vous aurez une somme rondelette", image celui qui préside également la Fédération nationale bovine (FNB).
"Le droit français s'applique"Dans ce contexte, le recours à des centrales d’achat basées à l’étranger, pratique qui s’est généralisée ces dernières années, est vu comme un nouveau subterfuge pour contourner la législation française. La loi Descrozaille ou EGA 3, qui entre en vigueur le 1er mars, est censée resserrer l’étau autour de la grande distribution. Son article 1er stipule en effet que "le droit français s’applique à tout contrat ayant pour finalité la distribution de produits en France, même si celui-ci est négocié dans une centrale internationale d’achat", a rappelé sur BFMTV Marie Lebec, ministre déléguée chargée des relations avec le parlement.En attendant, pour calmer la colère paysanne, l’exécutif entend par la voix de Bruno Le Maire (lire ci-dessous) multiplier au plus vite les contrôles afin de tordre le bras aux resquilleurs.
Le Maire annonce des contrôles renforcés
Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a annoncé mercredi qu’il renforcerait les contrôles sur les centrales d’achat européennes et doublerait ceux sur les distributeurs, afin de mieux faire respecter la loi Égalim censée préserver le revenu des agriculteurs. « Je ne veux pas que le revenu des agriculteurs soit la variable d’ajustement des négociations commerciales », a indiqué le ministre sur CNews et Europe 1. « Je vais lancer des contrôles spécifiques sur les centrales d’achat européennes pour m’assurer qu’il n’y a pas de contournement par ces centrales d’achat européennes des règles de la loi Egalim », a annoncé Bruno Le Maire.
Ces contrôles ne sont cependant pas neufs, Bruno Le Maire lui-même a rappelé avoir déjà prononcé « plus de six millions d’euros » de sanctions à l’encontre du distributeur E.Leclerc.
Dominique Diogon (avec AFP)
Photo Franck Boileau