Les 18-24 ans davantage en proie à des pensées suicidaires et des tentatives de suicide
À l’occasion, ce lundi, de la Journée Nationale de Prévention du Suicide, Santé publique France a livré son dernier baromètre sur les pensées suicidaires et tentatives de suicide. La crise sanitaire est encore dans bien des têtes, notamment chez les 18-24 ans confrontés à un contexte anxiogène.
Après les accidents de la route, le suicide, avec 16 %, est la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans. Les derniers chiffres de Santé publique France qui pointent une augmentation de la prévalence des tentatives de suicide et des idées suicidaires chez les plus jeunes ont de quoi inquiéter.Chez les 18-24 ans, les pensées suicidaires ont été multipliées par deux entre 2014 et 2021, passant de 3,3 % à 7,2 %. En 2021, 9,2 % des plus jeunes avouaient une tentative de suicide au cours de leur vie, ils étaient 6,1 % en 2017.Ces pensées suicidaires et tentatives de suicide en augmentation, s’alarme Santé Publique France, « constituent un changement important puisqu’elles étaient inférieures ou comparables aux autres tranches d’âge de la population dans les baromètres santé qui ont précédé la pandémie de Covid-19 ».Par ailleurs, les idées suicidaires gagneraient plus les femmes que les hommes (4,8 % contre 3,5 % pour les hommes en 2021). Les hommes, toutefois, passent plus « facilement » à l’acte puisqu’ils comptent pour 75 % des morts par suicide.Les personnes vulnérables sur le plan socio-économique, peu diplômées (sans baccalauréat), vivant seules ou élevant seules leurs enfants sont davantage exposées aux idées suicidaires comme au passage à l’acte.
« Pas vraiment une surprise »Si les adolescents sont les oubliés de ce baromètre - ils n’ont pas été interrogés -, les chiffres de la santé mentale de leurs aînés de quelques années parlent pour eux. « Depuis la fin de la crise du Covid-19, la prévalence des états dépressifs caractérisés chez les 18-24 ans a été multipliée par deux pour atteindre 20 % alors qu’elle a diminué dans les autres tranches d’âge », note la psychiatre Dominique Monchablon, chef de service au Relais Étudiants-Lycéens de Paris à la Fondation Santé des Étudiants de France.
« Le suicide est la conséquence d’une accumulation de facteurs, rappelle le psychologue clinicien et psychanalyste Christophe Ferveur. Ces chiffres, toutefois, ne constituent pas vraiment une surprise. En effet, pendant la crise sanitaire, une hausse des passages aux urgences des jeunes avait été observée. Il n’est ainsi pas illogique de retrouver pour partie ces mêmes jeunes, trois au quatre après, dans des enquêtes sur le mal-être. C’est un premier facteur. »
Mais les tentatives de suicide et la prégnance des idées suicidaires en hausse chez les jeunes ne sont pas que les séquelles de la pandémie de Covid-19 et des confinements. Si l’époque valorise la jeunesse, elle le leur fait aussi payer. « En hausse, reprend Christophe Ferveur, les consultations au sein de la Fondation Santé des étudiants de France témoignent des difficultés des jeunes à entrer de plain-pied dans le monde adulte en raison d’un contexte anxiogène et inhibant sur tous les plans : social, international et environnemental. Il leur faut rompre avec une vie adolescente encore largement cadrée par les parents et moins entravée par les contraintes sociales. C’est un deuxième facteur. »
Angle mortEt l’avenir leur paraît d’autant plus sans avenir que l’individualisme aujourd’hui triomphant a son revers : « La dimension collective s’estompe de plus en plus, soulève le praticien. Et le Covid n’a rien arrangé. Cette perte de dimension collective se prête plus à la résignation qu’à la révolte ou alors tournée contre soi. Parallèlement, l’autonomie accordée à chacun s’accompagne d’une exigence de performances. D’où les interrogations précoces sur la bonne voie académique, le bon diplôme... D’où, aussi, une hausse des conduites addictives… L’individu est responsable de lui-même, y compris de sa santé mentale. C’est un autre facteur. »
Si Santé Publique France appelle à renforcer les politiques de prévention du suicide et à mettre en place un meilleur suivi des personnes qui ont fait une tentative - ce qui permet de réduire les risques de récidive -, les jeunes sont dans l’angle aveugle ou presque de la psychiatrie française : « La prise en charge des 16-25 ans, relève Christophe Ferveur, pose problème dans la mesure où ils sont trop âgés pour être pris en charge par la pédopsychiatrie et leurs symptômes pas assez explicites pour l’être par la psychiatrie pour adultes. Or, les souffrances psychologiques de ces jeunes peuvent, faute de soins, se cristalliser et se consolider dans la vie active face à de nouvelles difficultés. »De fait, la France s’attriste d’un des taux de suicide les plus élevés parmi les pays européens avec 8.666 décès en 2017.
Jérôme Pilleyre