Ils avaient laissé des victimes "traumatisées", "sidérées" : dans l'Allier, trois braqueurs de tabacs condamnés

Armes factices, masques d’Halloween, mais vrai traumatisme après les braquages des tabacs de Lurcy-Lévis et de Valigny dans l’Allier, en novembre 2023. Trois prévenus "égarés", des "pauvres types", qui se sont lancés dans une série de faits criminels, laissant des victimes sidérées dans leur sillage. Deux ont été condamnés à deux ans de prison ferme ; le troisième à un an, entre autres.

Quel étrange équipage. C’est un trio d’hommes "égarés", marginaux, précaires, au passé d’enfants placés, en mal d’argent, en errance psychologique, qui comparait détenu devant le tribunal correctionnel de Moulins, ce mardi 13 février et devant un nombreux public.

Un trio qui a braqué deux tabacs le soir du mercredi 22 novembre 2023 à Lurcy-Lévis et Valigny, au cœur du tranquille et rural bocage bourbonnais.

Laissant des victimes "traumatisées" (entre 4 et 10 jours d'ITT), "sidérées", "surprises" et même "déçues", quand elles ont su que, parmi ces gars, il y en a un qu’ils connaissent "très bien", et même "depuis qu’il est tout petit".

Deux individus armés braquent les tabacs de Valigny et Lurcy-Lévis

Ce mercredi-là, deux d’entre eux arborent des masques d’Halloween, tiennent de faux pistolets, un qui tire des balles à blanc et un autre qui tire des billes. Mais qui, dans le doute, ressemblent furieusement à des vrais. Ils disent, à l’employée du tabac Bourrioux à Lurcy, puis à la gérante du Relais de la forêt à Valigny : "Braquage, la caisse !".

Douche froide pour celles qui pensaient en tout premier à "une farce". La première, à Lurcy, tend le monnayeur et "se le prend dans la figure", note son avocat Me Purseigle. Avant de donner tout le reste, 2.250 € en majorité en liquide. A Valigny, l’équipage repart avec 400 € de tabac. La gérante, qui a eu "très peur, surtout pour mes clients, que ça parte en vrille", en reste également sidérée : "On aurait dit qu’il était aussi stressé que moi !", confie-t-elle au tribunal. "Après avoir pris le tabac, il a posé son arme sur le bar et m’a demandé la caisse. L’autre a dit "dépêche toi, il ne reste que trois minutes". Ils sont vite sortis sans la caisse, et sans bousculade. Les jours suivants, j’étais perturbée, mon employée a pris les choses en main".

Un troisième larron les attend au volant d’une voiture volée le matin même, à une mère de famille qui s’apprête à aller au travail, alors qu’elle fermait son portail, explique son conseil Me Falco. C’est le "gars du pays" qui avait repéré cette Renault Mégane "en passant en vélo devant quelques jours avant" : "J’ai vu que je pouvais la voler. Je l’ai volée. On cherchait une voiture, c'était à moi de la trouver ". Circonstance aggravante : il menace la femme en lui disant qu'il a une arme. Elle se demande toujours "ce qui serait arrivé" si sa fille avait été dans le voiture ce matin-là.

Après les deux braquages, les trois crament la voiture, et tout ce qu’il y a dedans, leurs affaires à eux… et toutes les affaires de sa propriétaire. Se partagent les 2.000 € (il y a aussi des chèques dans ce qu'ils ont pris), "paient une dette" de l’un d’entre eux (suite à un passage à tabac), font "des courses pour le frigo", mettent "de l’essence dans la voiture".

Difficile de savoir ce qui leur est passé par la tête, à ces trois copains désargentés et déphasés, quand ils se sont vus quelques jours avant. Pour la procureure, c’était "plutôt bien préparé", entre les armes (qu’ils avaient déjà en leur possession), le "choix de deux commerces que l’un connaît bien", le vol de la voiture, puis la brûler et "effacer les traces" : "S’il n’y avait pas eu des bavardages, des on-dit puis des discussions sans équivoques lors des écoutes téléphoniques, les aurait-on attrapés ? En tout cas, ils ne sont pas venus se rendre".

Pour les avocats de la défense, les prévenus sont des "pauvres types", "plus proches des Pieds nickelés que du gang de Marseillais", "on est au pistolet à bille, pas à la kalachnikov", argue Me Lardans. Me Boudet estime qu’il s’agit bien plus "d’opportunité" que de préparation : "Ils avaient envisagé de braquer le supermarché Bi1 de Lurcy et puis ils se rendent compte que c’est à côté de la gendarmerie et se rabattent donc sur le tabac. Et puis après, il est prévu qu’ils rentrent, mais ils se trompent de route et partent direction Valigny... " Pour Me Fourcade, ils sont "l'illustration de cette précarité qui ne touche pas qu'eux, on le voit souvent en audience". Et de plaider de "ne pas les priver de devenir meilleurs", citant Robert Badinter.

L’un des trois a 28 ans, casier vierge, est sous tutelle, a des retards mentaux, vit "dans une poubelle", parce que ça le "saoule de nettoyer". Un deuxième, le "gars du pays", 46 ans, est toxicomane, mélange molécules de substitution et drogue dure, touche l’allocation adulte handicapé, "depuis qu’il a reçu un coup de couteau dans le dos", a déjà été condamné 14 fois entre 1998 et 2011 pour violences, délits routiers, vols, trafic de stupéfiants, vit dans une roulotte. Le troisième, le chauffeur, 40 ans, a 18 mentions à son casier, est au chômage, a lui aussi connu une vie chaotique, placé tôt, mère prostituée et toxicomane, père absent, a été à la rue cinq ans, a été condamné pour violences conjugales, vol, recel, etc.

"Solitude, tristesse, désarroi, rejet", liste Me Lardans.

Le pire, c'est que la prison, c'est loins d'être la panacée, surtout "à cinq dans une cellule de quatre", mais au moins, ils ont un minimum de soins, voient leurs traitements adaptés, ne touchent "plus ni à l'alcool ni à la drogue", se douchent, prennent "des cours", travaillent un peu. Une structure.

La procureure a requis un minimum de quatre ans de prison pour les deux plus âgés et deux ans de prison, avec deux ans de sursis probatoire pour le plus jeune.

Le tribunal a finalement condamné Laurent Sevret (prévenu pour braquage et vol de la voiture) et Aurélien Soors (le chauffeur) à cinq ans de prison dont trois ans avec sursis probatoire pendant deux ans, avec obligation de soins surtout et aussi de travail. 

Le troisième, sous tutelle (c'est pour ça que nous ne donnons pas son nom) est condamné à trois ans de prison dont deux ans avec sursis probatoire, lui aussi avec obligations de soins.

Ils ont tous les trois interdiction de reparaître à Lurcy et à Valigny pendant trois ans et interdiction de porter une arme pendant cinq ans.

Les victimes seront indemnisées pour leurs préjudices, matériel et moral.

Les braqueurs sont tous les trois repartis en prison.

Mathilde Duchatelle