Smartphone et vie de couple : « Le téléphone, c’est l’invité surprise à qui il faut trouver une place »
À table, dans la salle de bains, dans la chambre à coucher… Notre portable nous suit partout, nous ou notre conjoint. Et pour certains, cela n’est pas sans conséquence sur la vie de couple.
Ce mercredi soir, nombre de couples vont profiter de la Saint-Valentin pour se faire un restaurant, en amoureux. Et au milieu du repas, ils seront sans doute également nombreux à regarder leur téléphone. Pour voir s’ils ont un message, une notification, ou encore savoir si Kylian Mbappé a marqué en huitièmes de finale de Ligue des champions. Anodin, direz-vous ? Pas tant que cela tant les smartphones ont pris une place importante dans nos vies.
« Nous avons fait le constat qu’avec mon mari, nous passions trop de temps sur notre téléphone, notamment le soir avant de nous coucher, ou quand on est au resto », témoigne Ludovic (*), trentenaire limougeaud.
« Cela donne aussi un mauvais exemple à nos deux filles donc nous avons mis en place certaines règles comme l’interdiction de regarder nos téléphones quand on est dans le lit. Cela a été dur au début, mais c’est une habitude à prendre »
Prendre le problème à bras-le-corps et instaurer des règles, c’est l’un des conseils que donne Pascal Lardellier. Ce professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Bourgogne a étudié en profondeur le sujet, dont il a notamment tiré un ouvrage, S’aimer à l’ère des masques et des écrans.
Qu’est-ce que le développement des smartphones a modifié dans les rapports de couple ?
La première chose, c’est que désormais, énormément de couples se constituent grâce aux applis et aux sites de rencontres donc il a déjà un rôle dans la genèse des histoires. Chez les trentenaires, pour plus de la moitié des couples, on a des rencontres numériquement assistées. Avec les applis, les sites internet, on assiste à une ubérisation de la relation.
Est-ce que cette ubérisation joue sur la profondeur de la relation ?
Quand on est en couple institué, je ne pense pas. En revanche, quand on est encore en phase d’exploration, et qu’on a encore plusieurs contacts, on va sans doute moins investir la relation car il y a plusieurs prétendants. Cela renvoie un peu à ce qu’était l’amour courtois au Moyen Âge. Et dans de nombreuses enquêtes que j’ai menées, j’ai remarqué que l’entrée en couple est justement marquée par la désinscription de ces sites ou applis de rencontres.
Une fois les couples installés, le smartphone joue également un rôle…
Cela change déjà la communication au sein du couple. La vie sensuelle et érotique du couple, par exemple, peut passer par les nouvelles technologies, par le jeu des sextos. Mais cela vaut aussi pour des disputes ou des sujets sérieux : on dit par des SMS ou des mails des choses que l’on ne se dirait pas forcément de vive voix. Pour faire une mise au point ou même pour s’excuser.Il y a aussi l’accès aux mots de passe et aux connexions de l’autre, qui est vu comme un gage de confiance ou de méfiance assez imparable. J’avais dirigé une thèse il y a une dizaine d’années sur ce sujet et on voyait qu’il y avait des couples pour qui cela devait rester un jardin secret.
La vraie intimité, aujourd’hui, elle est dans notre téléphone.
Au restaurant, devant la télé, dans le lit… les téléphones partagent souvent notre vie quotidienne…
Le smartphone, depuis 15-20 ans, c’est l’invité surprise du couple postmoderne et cela s’accroît depuis qu’on a une connexion internet. C’est un invité qui peut prendre une place, soit très importante, soit démesurée. Cela génère de plus souvent des reproches : “qu’est-ce que tu fais encore sur ton téléphone??” “tu as allumé ton téléphone cette nuit”… et on doit en permanence se justifier de cette hyperconnexion. On n’est plus deux dans le couple, on est quatre avec cette prothèse personnelle et technologique à qui il faut trouver une place.
Comment parvient-on à lutter contre cela ?
Il y a des couples, et ils sont de plus en plus nombreux, qui mettent en place des chartes d’utilisation du smartphone, car on est souvent connecté en permanence. On peut se dire : “ce soir, on va au restaurant, on laisse le téléphone”, ou alors “on le laisse en dehors de la chambre à coucher”.
Toutes les générations sont-elles touchées par le phénomène ?
Oui, car désormais, nous sommes tous connectés. Donc à partir du moment où on est en couple, se pose la question du téléphone, de son utilisation. C’est vraiment au centre de mes recherches : à qui on écrit, pourquoi, à quelle heure… Et cela fait l’objet d’un métadiscours de justifications permanentes.
(*) Le prénom a été modifié.
A lire. S’aimer à l’ère des masques et des écrans (2022), éditions de l’Aube, 17 €.
Maxime Escot