"Il faudrait reprendre les fouilles" : pour le fils d'Émile Fradin, "l'affaire de Glozel" reste entière
Le 1er mars 1924, un jeune paysan nommé Émile Fradin faisait une découverte à Glozel, un hameau reculé de Ferrières-sur-Sichon (Allier), qui allait marquer un tournant dans sa vie. Et ce, jusqu’à son décès en 2010. Depuis, son fils Jean-Claude a pris le relais de ce lourd héritage laissé par son père. Rencontre sur le « Champ des morts », là où « l’affaire de Glozel » a explosé, il y a 100 ans jour pour jour.
En Montagne bourbonnaise, à trente minutes de Vichy, sur la commune de Ferrières-sur-Sichon, le hameau de Glozel est calme. À l’écart de la route qui passe tout près et à l’abri des regards, ses habitants jouissent d’un cadre de vie pittoresque. En cette après-midi hivernale, les prairies sont vertes et la ruine du château de Montgilbert, au loin, veille sur la vallée. Avec la quiétude palpable qui règne, il est difficile de croire que cet endroit a défrayé la chronique des années durant. Le 1er mars 1924, environ 3.000 artefacts « néolithiques » ont été découverts par Émile Fradin, modeste paysan de 17 ans. Cent ans plus tard, une grande partie de sa trouvaille est toujours exposée dans la propriété familiale. Son fils Jean-Claude a repris les rênes de ce lourd héritage.
Une découverte faite un jour de labourAujourd’hui, la ferme et les 19 hectares de terres appartiennent encore aux Fradin. Jean-Claude n’habite plus là, mais la gestion de l’association et du petit musée l’obligent à venir régulièrement. Son fils, lui, vit sur place. Devant la maison, la pancarte d’époque indique l’entrée du musée. Rien n’a bougé, « le trésor » d’Émile est toujours là, comme il y a veillé tout au long de sa vie. Sa découverte, il l’a faite un jour de labour dans ce qui s’appelait, alors, le champ Duranthon. Terrain qui sera ensuite renommé « Champ des morts », après l’exhumation d’ossements humains parmi ses nombreuses trouvailles.Le "Champ des morts" est difficile d'accès depuis la route.
Cette parcelle accidentée et très en pente se situe à 15 minutes à pied de la ferme, dans un vallon isolé. Coincée entre deux ruisseaux, elle porte encore les stigmates des dernières fouilles effectuées dans les années quatre-vingt. Jean-Claude, aujourd’hui âgé de 73 ans, a grandi dans cet immense terrain de jeu. « J’ai toujours connu le musée à la maison, il a été construit en 1929. Il faisait partie de la ferme. Dès l’enfance, nous jouions au guide et aux visiteurs avec mes deux sœurs, on faisait même la visite aux chats de la maison?! C’était une façon de nous amuser, les objets faisaient partie de notre vie, mais on n’a pas connu la grande époque des fouilles des années vingt et trente. » Des souvenirs encore vivaces chez le septuagénaire, désormais installé dans la Loire.
« La solution viendrait d’une reprise des fouilles »Cette année 2024 marque le centenaire de la découverte de son père. Un anniversaire forcément spécial. Et surtout, le moment idéal pour rappeler que « l’affaire de Glozel reste entière ». « Ces cent années m’inspirent le besoin de marquer une étape. Un centenaire, ce n’est pas rien. Pourtant, la situation n’est toujours pas résolue. » Des années après, le fils d’Émile Fradin est toujours insatisfait des réponses données par les chercheurs.
Il y a un problème d’ancrage chronologique. On ne sait pas où situer les découvertes. Tout n’est pas réglé, il reste beaucoup à faire. Ce centenaire doit permettre de remettre Glozel en lumière.
Découverte majeure, vaste supercherie ou mélange des deux… Les avis sont tranchés entre « pros » et « anti » « Glozéliens ». Mais, l’incertitude ronge encore Jean-Claude Fradin. « Cela me trotte dans la tête. Des objets ont été déclarés comme authentiques. Maintenant, je voudrais qu’on arrive à clarifier la situation, qu’est-ce qui est préhistorique, historique, de l’époque médiévale ou d’une période plus récente… Je veux que l’on m’explique tout ça. Je pense que la solution viendrait d’une reprise des fouilles, car, pour dater dans de bonnes conditions, il vaut mieux le faire sur des objets fraîchement découverts et non pas sur ceux exposés dans le musée depuis tant d’années. En somme, il faudrait faire table rase du passé et recommencer ce travail d’analyse et de datation à zéro, avec des technologies d’aujourd’hui », continue Jean-Claude.
Toute sa vie, Émile Fradin a tenté de faire reconnaître l’authenticité de sa découverte.
Mon père a été considéré comme un faussaire, il a été mis en examen, interrogé pendant des heures en garde à vue… Cela n’a pas été un long fleuve tranquille pour lui.
« Perquisitions, descentes de police à Glozel, vitrines brisées et 200 objets du musée embarqués… Là, vous vous dites : “Mais qu’est-ce qu’il m’arrive??”. Ça n’a pas été simple pour lui. Nous, les enfants, l’avons moins vécu, il s’est marié après la Seconde Guerre mondiale, puis nous sommes arrivés. À ce moment-là, les grandes heures de Glozel étaient passées. »
Les combats du père sont aujourd’hui ceux du filsUn combat pour l’honneur et l’honnêteté du père qui anime aujourd’hui le fils. « Toute sa vie, il a cherché à prouver sa bonne foi. Il ne se mettait pas en avant pour rappeler que c’était sa découverte. D’ailleurs, il employait souvent l’expression “Quand on a la vérité pour soi, on est fort”. Il estimait qu’il avait la vérité. C’est ce qui l’a fait tenir, c’était un battant. Il aurait pu baisser les bras à de nombreuses reprises, mais il ne l’a pas fait. Il s’est retrouvé, à cette époque, poursuivi devant le Palais de justice de Paris, lui petit paysan bourbonnais. C’était quelque chose. » Quatorze ans après la disparition d’Émile Fradin - en 2010, à l’âge de 103 ans - Jean-Claude continue la lutte. « Quand je vois ce qui est dit sur Glozel (lire ci-contre), de nombreux éléments me dépassent, car je n’ai pas les connaissances nécessaires. »
Mais, il y a aussi un regard croisé avec le point de vue de grands pontes de la Préhistoire et là, beaucoup de choses me contrarient. “Imposture”, “manipulation”, “supercherie”… Ce sont des termes qui me…
Jean-Claude n’en dira pas plus, l’amertume prédomine.Jean-Claude Fradin dans le musée créé par son père Émile, à Glozel, dans les années vingt.
Avec la volonté d’enfin lever le voile sur le « mystère Glozel », la famille Fradin n’est pas pleinement convaincue par les dernières visites des scientifiques, remontant à plusieurs décennies. « Pour l’instant, rien n’est envisagé. Il y a eu des sondages et des datations dans les années quatre-vingt qui donnent des résultats beaucoup plus proches de notre époque. Très loin de ce que nous croyions. Mais, sont-ils dans le vrai?? On n’en sait rien. Tout a été fait de manière floue, avec des technologies qui ne sont plus utilisées aujourd’hui ou qui se sont avérées inefficaces. Mais, eux, estiment que ça permet de classifier Glozel », juge le fils d’Émile.
« J’espère qu’un jour, nous saurons?! »Cent ans après, le flou est encore total pour Jean-Claude Fradin. « J’espère qu’un jour, nous saurons. Mais, les réponses viendront sûrement de chercheurs indépendants, puisque, au vu l’intérêt de l’archéologie “officielle”, je suis pessimiste. Moi, je suis pour des fouilles, avec des garanties et pas menées par n’importe qui. Je souhaite que ce soit fait correctement, avec honnêteté, car je pense que les choses n’ont pas toujours été claires. Quand on fait des sondages une première semaine de décembre et que ce n’est pas ouvert aux journalistes, je regrette, mais c’est vague… Je le répète, je suis ouvert à des fouilles avec un cadre et dans les règles pour lever définitivement le voile sur Glozel, mais ce n’est pas un projet mûr. »
Des animations pour le centenaire. Centenaire. Cérémonie officielle. Ce vendredi 1er mars après-midi, cent ans après la si mystérieuse découverte de plus de 3.000 artefacts en tous genres par Émile Fradin, une cérémonie est organisée à Glozel. En présence notamment de la préfète de l’Allier, Pascale Trimbach, de représentants de Vichy Communauté, dont son président Frédéric Aguilera, et des membres de la famille Fradin, un hommage sera rendu à cette découverte qui a tant défrayé la chronique. Le maire de Ferrières-sur-Sichon, Jean-François Chauffrias, et son conseil municipal seront également de la cérémonie. Une lecture théâtralisée du livre d’Émile Fradin, Glozel et ma vie, sera assurée par la compagnie Maison rouge. Suivra une prise de parole de diverses personnalités, ainsi qu’une visite du musée avec les personnalités présentes.
En mai. Le « Bus des mémoires ». Animé par la compagnie Procédé Zèbre, il prendra la route pour Glozel, au départ de la mairie de Vichy. Les jeudis 9 à 15 heures et 16 mai à 19 heures. Tarif : 13 €. Infos et réservations au 07.87.33.86.75.
En juillet. Plongeon dans la mémoire de Glozel. Week-end de festivités les 6 et 7 juillet dans le hameau de Glozel. Visite du musée et du Champ des morts, Bus des mémoires (le dimanche à 15 heures), exposition de voitures d’époque, stands, animations, expositions et projection de films de l’INA… Repas festif et soirée musicale le samedi soir. Au musée de Glozel et au Théâtre des Masques à Ferrières-sur-Sichon.
En septembre. Journées du patrimoine. Le musée de Glozel sera ouvert au public à l’occasion des Journées européennes du patrimoine, samedi 21 et dimanche 22 septembre. Entrée à tarif réduit. Clichés. Une exposition photos sera installée à la mairie de Vichy tout le week-end.
Colloque. « Glozel et l’archéologie française ». Organisé par la Drac Auvergne-Rhône-Alpes et les Archives nationales en partenariat avec la Société d’émulation du Bourbonnais. Jeudi 12 et vendredi 13 décembre, au Pôle universitaire de Vichy.
Nathan Marliac Photos François-Xavier Gutton