Il demande un million d'euros en ligne pour reprendre une exploitation agricole en Corrèze
En Corrèze, un jeune agriculteur a lancé un financement participatif pour reprendre l’activité arboricole de son patron. S’il peut forcer l’admiration ou prêter à sourire, ce recours est révélateur de l’état d’un secteur en proie à de nombreuses menaces. Voici quatre points pour comprendre les raisons de la création de cette cagnotte en ligne.
Une vue imprenable sur la vallée de la Vézère, un paysage peuplé de vergers. Ce panorama des hauteurs d’Allassac, en Corrèze, Julien Quéré en est tombé amoureux. Arrivé en septembre sur l’exploitation arboricole de Jean-Jacques Bouisse, l’homme de 22 ans qui a étudié dans le domaine des travaux publics, à Égletons, n’avait pas prévu que cette expérience changerait sa vie.
J’ai fait une saison de cueillette et je ne suis jamais reparti.
À tel point que le jeune agriculteur souhaite faire fructifier son coup de foudre et reprendre l’exploitation de son mentor, qui a l’âge de partir à la retraite. Pour ce faire, celui qui descend d’une famille d’exploitants céréaliers dans le Poitou a ouvert une cagnotte en ligne et souhaite amasser un million d’euros.
1. Pourquoi une cagnotte ?La tirelire digitale de Julien Quéré est récente, née d’un électrochoc durant les mobilisations du monde paysan. Selon lui, il s’agissait "du bon moment pour le faire. J’ai lancé cette cagnotte pour sensibiliser."
Sensibiliser et peut-être atteindre des sphères, plus urbaines et plus jeunes que Jean-Jacques Bouisse, qui ne cache pas être dépassé par cette méthode de financement. "Les gens disent que c’est bien. Ce n’est pas mon truc, mais je veux qu’il soit libre. C’est lui l’avenir, pas moi." Julien Quéré ne cache pas son envie d’éviter une potentielle dépendance au système bancaire. "Il y a la solution du prêt bancaire où je vais vivre sur le salaire de ma compagne", ironise-t-il.
2. Pourquoi demander un million d’euros ?Au premier regard, l’objectif d’un million d’euros pour une vingtaine d’hectares de vergers peut surprendre, mais les deux arboriculteurs expliquent qu’il ne s’agit pas du fruit du hasard. "J’ai fait passer un expert foncier qui a fait l’évaluation des terres", assure Jean-Jacques Bouisse. La terre en elle-même semble être presque un détail, lorsque Julien Quéré énumère tout ce qui rentre en ligne de compte. "Il y a dix-huit hectares de foncier, il s’agit du sol propre, auquel il faut ajouter les plantations, les bâtiments, le matériel, le fonds de roulement." La majeure partie de ces éléments représente des sommes à six chiffres.Photo Stéphanie ParaL’exploitation dispose aussi de petites machines qui coûtent tout de même leur pesant d’or. L’agriculteur de 22 ans met en avant des chiffres aux alentours de 90.000 euros pour l’appareil d’aide à la cueillette et sensiblement le même prix pour le petit tracteur.
Propre aux cultures à la main, l’effectif humain variable, selon les périodes, est également pris en compte dans l’addition. "Au niveau de la main-d’œuvre, c’est l’équivalent de deux salaires : un à temps plein et deux saisonniers. Pour l’éclaircissage des fruits, il faut compter entre dix et quinze personnes. Pour la saison de la cueillette ce sont quarante-cinq personnes", avance Jean-Jacques Bouisse.
3. Pourquoi Julien Quéré s’installera dans tous les cas ?Face au défi du million d’euros, la question d’un potentiel échec peut se poser. Julien Quéré se veut rassurant et se laisse un an pour reprendre l’exploitation de Jean-Jacques Bouisse. "Le projet se concrétise au fil des jours. La somme récoltée me servira d’apport auprès de la banque. Je reprends l’exploitation coûte que coûte." La transmission se fera en douceur, le pomiculteur préretraité ne sera pas rayé de la carte du jour au lendemain. "Il restera là pour m’épauler, d’autant que la gestion des papiers est énorme." À propos de la passion de son patron pour l’agriculture, Julien Quéré a une expression :
Lui ne fait pas de sport, il fait des pommes.
4. Pourquoi « il y a des vergers qui ne sont pas repris » ?L’émotion de Jean-Jacques Bouisse est palpable lorsqu’il raconte son histoire familiale. "J’ai repris l’exploitation en 1986 à mes parents, avec un peu plus d’un demi-hectare de vergers." (empty) À l’époque, la famille Bouisse faisait un peu d’élevage.
"J’ai fait un virage en 1987, suite au décès de mon père. J’ai mis quarante ans pour monter cette structure. Ça me travaille un peu, on perd tout. Je suis né là."Photo Stéphanie Para
Partis vers d’autres horizons professionnels, les enfants du futur retraité ne reprendront pas le flambeau, concluant le chapitre écrit par plusieurs générations. Or, dans un secteur demandant beaucoup d’efforts humains et financiers, les transmissions extrafamiliales relèvent de l’exceptionnel. "Ça reste minoritaire. Des fois, il y a des salariés qui reprennent le verger, mais ils ont plus d’investissement à fournir", note Agnès Donzeau, directrice du syndicat de défense de l'AOP pomme du Limousin, faisant écho au cas de Julien Quéré.
Elle ajoute que faute de moyens, ou de repreneur, "il y a des vergers qui s’arrachent et qui ne sont pas repris. Souvent, les exploitants qui cessent sont des producteurs qui avaient de petites surfaces et qui ont d’autres activités, comme l’élevage".
Romain Brusa