Un an après la mort de Valentin Francy à Paris, le chemin de croix judiciaire de sa famille à Brive

Le 2 mars 2023, Valentin Francy mourrait à Paris, dans son appartement du XVIe arrondissement, sous les nombreux coups de couteau de son agresseur. Un an plus tard, les parents de ce jeune corrézien, ont souhaité confier leur témoignage à La Montagne. Ils décrivent l’errance judiciaire dans laquelle ils sont plongés, et la violence institutionnelle qu’ils doivent affronter en tant que proches de victime dans un dossier criminel.

« Cela fait un an, que Valentin a été tué, et nous souhaitons raconter aux gens, ce que nous vivons ». Si Sylvie et Fabien Francy souhaitent prendre la parole, ce n’est pas pour parler de leurs émotions liées à la disparition de leur fils, en mars 2023. Non, celles-là, « tout le monde peut les imaginer », estime Fabien, le père de la victime.

Il y a un an, le 4 mars, leur fils alors âgé de 21 ans, étudiant à Paris, avait été retrouvé sans vie, dans une mare de sang, dans son appartement du XVIe arrondissement de Paris. Foreman P., souffrant de troubles psychiatriques, avait alors été suspecté de lui avoir asséné dix-huit coups de couteau dans ce logement en rez-de-jardin, avant de l’étrangler et prendre la fuite. Deux jours plus tôt, les caméras de surveillance avaient enregistré sa présence aux abords et dans l'immeuble de Valentin.

Foreman P. était livreur Uber Eats.  Le Corrézien était un client. « Valentin était s’intéressait aux gens, il m’avait parlé de ce gars qui avait quitté Madagascar, car il était persécuté à cause de son homosexualité. Valentin ne trouvait pas cela normal, comme il ne trouvait pas normal beaucoup de choses », se souvient son père Fabien.  « À un moment, mon fils m’a demandé s’il pouvait ouvrir un compte Uber Eats pour que quelqu’un d’autre livre à sa place. Je le lui avais formellement déconseillé. A posteriori, je pense que ce livreur était son assassin », ajoute-t-il.Émotion.?Sylvie et Fabien Francy, inquiets pour la suite de la procédure. photo S. PARA  

Quelque temps après cet épisode, les deux hommes s'étaient perdus de vue. Une prise de distance qui coïnciderait avec la période où Foreman P., schizophrène, aurait arrêté de prendre ses médicaments. L’homme était déjà connu des services de psychiatrie, après plusieurs séjours en 2018 et 2019, notamment suite à une tentative de suicide. Durant ces quelques semaines, début 2023, l’homme de 24 ans avait développé à distance une forte paranoïa autour de Valentin.

Dans sa tête, ce dernier était au centre de complot impliquant la franc-maçonnerie. Le 8 mars, le livreur était finalement interpellé, placé en garde à vue, hospitalisé en psychiatrie, puis mis en examen pour assassinat. « Lors de son expertise psychiatrique au mois d’août, le mis en cause a même déclaré que le roi de Madagascar lui avait ordonné de tuer Valentin », déclare Fabien dubitatif.

La mort de Valentin, c’est Romain, son jeune frère, qui l’a apprise en premier… par message sur Instagram. « Les amis de Valentin ne savaient pas comment nous prévenir, ils ont trouvé Romain sur ce réseau social » se souvient Sylvie sa mère. Un premier traumatisme immense, que l’on mesure au détour d’une petite phrase. « Cela fait un an que nous ne sommes pas entrés dans la chambre de Valentin », confie son père, dans son pavillon de l’ouest briviste.

Après l’annonce du décès de l'étudiant en Histoire, dans des conditions aussi tragiques, c'est à Brive, la sidération. Le jeune homme, ancien élève du lycée Bossuet, porte-drapeaux du Souvenir Français, bénévole aux restos du coeur, s'y était distingué, par son implication.  Mais les proches de Valentin sont, de leur côté déjà confrontés, à la froideur administrative. « Nous avons eu le courrier nous notifiant la durée de l’instruction, celui de l’autopsie partielle du corps de Valentin. Ouvrir ce genre d’enveloppe est très difficile. On n’est pas préparé à cela. » Puis, à côté de la brutalité de ces courriers, reçus à chaque fois en trois exemplaires, car les trois parties civiles vivent sous le même toit, c’est le silence radio.

Alors, en attendant, il faut remplir les formalités administratives : la Sécurité sociale, les assurances, les impôts. « Du fait de la mort de notre fils, les impôts nous ont enlevé une part, donc nous allons payer plus d’impôts. Concernant la CAF, Romain est devenu fils unique, donc pour ses études, il n’aura pas droit aux mêmes aides, ni aux mêmes bourses. Nous avons aussi eu l’assurance scolaire qui nous a dit que nous n’avions pas droit à la protection juridique, car nous étions des “victimes par ricochets”. On a eu droit à un capital décès, mais il fallait passer par leur portail internet et se connecter à l’onglet “sinistre”. J’ai déclaré la mort de mon fils comme un banal accident de la route », déplore le père, qui dénonce un manque d’humanité. La crainte de ne pas avoir de procès

Reste aussi la question de l’appartement, toujours sous scellés, qui n’a pas pu être nettoyé depuis le jour du meurtre. « On a demandé à l’assurance de faire passer un organisme de nettoyage, mais rien n’est pris en compte, car ce n’est pas un sinistre. On nous a dit “débrouillez-vous avec le propriétaire”. »

En janvier dernier, un nouveau courrier arrive au domicile des Francy. Une blessure de plus : la conclusion de l’expert psychiatre. Il dit : « Au moment des faits, Foreman P. est atteint d’un trouble psychique ayant aboli son discernement au sens de l’article 122-1 du Code pénal. Ce trouble qui est présenté doit être mis en relation déterminante avec les faits reprochés ».

Pour Fabien, Sylvie et leur fils, c’est la stupeur. Une abolition du discernement veut dire pour les proches qu’il n’y aura pas de procès. « Par contre, quelques lignes plus bas, l’experte dit qu’il peut être auditionné », relève Fabien Francy. « Ce qui m’étonne aussi, c’est que l’expertise a eu lieu au mois d’août. Le mec est mis en cause dans une affaire d’assassinat, et on dit au mois d’août qu’il avait une abolition totale du discernement au mois de mars. On ne comprend pas tout. Cet homme était, lui aussi, investi dans les associations, il était en BTS. Pour un schizophrène paranoïde, c’est vraiment très étrange », s’étonne le père de Valentin, qui avec le reste de la famille a décidé de demander une contre-expertise.

« On se demande aussi ce qu’il faisait dehors. Il a été interné à plusieurs reprises. Cela pose la question du suivi de ces personnes-là. Ce mec était une bombe à retardement, et il est dans la rue. S’il n’y a pas de procès, le massacre de notre fils sera “la faute à pas de chance” ». Si l’orientation procédurale devait se confirmer, la famille Francy se réserve le droit d’entamer d’autres recours en justice, pour que leur tragédie familiale ne reste pas une trop simpliste question de mauvaise rencontre. 

À la mort de Valentin, le Souvenir français de la Corrèze a rendu hommage à son jeune porte-drapeau. "Il a fait un geste merveilleux, en considérant Valentin comme quelqu’un mort au combat, s’émeut sa mère, reconnaissante. Son nom a été donné à un prix pour les jeunes engagés dans les actions mémorielles. Il aura sa tombe fleurie même s’il n’y a plus de descendants dans la famille."Valentin Francy était porte-drapeau du souvenir français. Photo S. PARA

Pierre Vignaud