Pôle "cold cases" à Nanterre : les moyens ne sont toujours pas "à la hauteur des ambitions", estime l'avocat Didier Seban
Créé le 1er mars 2022 à Nanterre, le pôle "cold cases" est aujourd'hui saisi d'une centaine d'affaires non élucidées. Mais la juridiction se heurte au manque de moyens donnés à une justice qui travaille encore comme au "tout début de l’informatique".
Deux années d’existence, des espoirs "immenses" pour les familles de victimes à l'annonce de sa création. Mais des moyens qui ne sont "toujours pas à la hauteur des ambitions".
Avocat dans plusieurs dossiers criminels non élucidés, Me Didier Seban a tenu une conférence de presse à son cabinet, mardi 5 mars, pour alerter sur le manque de moyens alloués au pole "cold cases" de Nanterre.
Une missive envoyée au Garde des sceauxRéclamée depuis des années, la création de cette juridiction entièrement dédiée aux affaires non résolues a fait naître en mars 2022 "de grands espoirs pour toutes les familles de victimes", rappelle Maître Didier Seban, avocat, entre autres, d'Eric Mouzin, le père d'Estelle, enlevée et tuée en 2003 par Michel Fourniret et Monique OIivier. "On est content que ce pôle existe, qu’il travaille et avance sur les dossiers dont il a été saisi, à l’instar de l’affaire Caroline Marcel (quinze ans après le meurtre de la joggeuse dans le Loiret, un homme a été mis en examen en janvier 2024, un an et demi après le transfert de l'enquête à Nanterre, ndlr). Mais on considère que le pôle ne possède pas aujourd’hui les moyens de ses ambitions."
L’avocat parisien a écrit au garde des Sceaux afin de l’alerter sur plusieurs points.
Le premier : l’informatique. Logiciels obsolètes ne permettant pas de croiser les données d'enquêtes criminelles ayant peut-être pour point commun un même auteur, serveurs pas entretenus qui ne permettent plus un accès à des dossiers vieux de plusieurs années…
"Les magistrats du pôle cold cases travaillent encore avec les moyens du tout début de l’informatique. On n’est pas entré dans la modernité."
Que sont devenus certains dossiers ?L’une des principales craintes concerne la "déperdition de la mémoire criminelle" française. Ces dernières années, les juges d’instruction ont progressivement commencé à travailler sur un nouveau logiciel informatique. Quid de tous les dossiers enregistrés sur l’ancien logiciel ? "On s’est aperçu qu’en l’état actuel des choses, dans certains tribunaux, il n’était plus possible parfois de retrouver ces dossiers ou même une simple ordonnance de non-lieu (un acte par lequel le juge d’instruction procède à une synthèse des investigations menées avant de fermer l'enquête, faute d’éléments, ndlr)."
Comment dès lors reprendre certaines enquêtes "oubliées", ou même simplement établir cette "mémoire criminelle" réclamée par Me Didier Seban et plusieurs associations de familles de victimes ? Quatre étaient présentes au coté de l'avocat pour porter ces revendications : l'association Estelle Mouzin, l'association Christelle, celle des Disparus du fort de Tamié et l'association de défense des handicapés de l'Yonne.
Toutes appellent à la création d'un site Internet des affaires non résolues, "avec des photos des victimes", via lequel il serait possible pour tout un chacun d'apporter des éléments utiles à une enquête.
Chiffrer le nombre d'affaires non élucidéesMe Didier Seban appelle aussi à évaluer le nombre exact de dossiers non résolus en France. S'il n’existe pas de chiffre officiel, le pôle "cold cases" est aujourd'hui officiellement saisi d’une centaine d'affaires, alors qu'il en existe potentiellement des "centaines à travers la France, voire des milliers", estime Me Didier Seban.
"On a l'impression d'être face à un puits sans fond, que l'on va écoper à la petite cuillère."
La création d'un fichier génétique des victimes (aujourd'hui, le Fnaeg contient l'ADN des auteurs d'infractions sexuelles et/ou violentes) est aussi demandée, ainsi que le prélèvement systématique de l'ADN des personnes enterrées sous X en France, environ un millier chaque année selon Me Didier Seban. Un impératif alors que de nombreuses disparitions restent non élucidées depuis des décennies, sans que les corps aient été officiellement retrouvés.
"Le pôle cold cases a créé un espoir formidable. Il manque un souffle pour faire de ce pôle la réponse aux espoirs des familles."
Sarah Bourletias