"La sororité, c'est la décision d'insister sur ce qui rassemble les femmes", selon cette ancienne militante du MLF
Dans les années 1970, Françoise Picq a milité au sein du MLF avant de faire du féminisme son métier, en l’analysant par le prisme de l’histoire. En cette Journée internationale des droits des femmes, l'historienne tente de définir la sororité. Un concept qui tend à intégrer davantage les hommes, alliés de la lutte pour l'égalité entre les sexes.
Comment définir la sororité??
C’est une volonté de considérer la solidarité entre les femmes comme un objectif, une nécessité. Mais ce n’est pas spontané car on n’aime pas tout le monde et il y a des tas de divisions sociales et culturelles entre les femmes. La sororité, c’est la décision, quelles que soient les contradictions, d’insister sur ce qui les rassemble.
De quelles contradictions parlez-vous??
Selon l’époque, on met l’accent sur l’une ou l’autre et il ne s’agit pas de les nier. Dans les années 1970, c’était la contradiction entre les bourgeoises et les prolétaires. Aujourd’hui, la dénonciation du féminisme blanc vient prendre la place de ce qu’était celle du féminisme bourgeois.
Par quoi se traduit la sororité, dans la vie de tous les jours??
Cela ne veut pas dire qu’on va tomber dans les bras de Marine Le Pen car il n’y a pas que la question féministe qui se pose, il y a d’autres contradictions dans la société. La sororité, c’est, même si on est en position de rivalité, ne pas oublier qu’on a aussi des intérêts communs, une oppression commune. Mais ce n’est pas forcément facile : si on prend en exemple le modèle familial, les relations entre sœurs ne sont jamais totalement au beau fixe.
Comment le patriarcat a-t-il cultivé la rivalité entre les femmes??
Il existe deux formes de domination des hommes sur les femmes : interindividuelle et collective. Dans l’Histoire pré-Antique, la société traditionnelle divisait le monde en deux : les femmes vivaient entre elles et les hommes entre eux. Le modèle familial d’aujourd’hui - un homme, une femme, des enfants – se base sur des lois, en l’occurrence le Code civil, qui ont établi de façon très nette la domination des hommes. La femme doit obéissance à son mari et le mari doit protection à sa femme. Les femmes n’approchent du pouvoir qu’à travers les hommes, elles ne sont que des créatures relatives et sont dispersées. Elles ne peuvent donc exister qu’à travers un homme qui était leur patron et leur défenseur en même temps.
La sororité doit-elle se réduire à une solidarité de genre??
Dans les années 1970, la non-mixité, c’est-à-dire le fait que les femmes se réunissaient et ne voulaient pas d’hommes parmi elles, était une nécessité historique. Aujourd’hui, les choses ont changé. Parmi les hommes, il y a eu des évolutions dans des sens différents. Certains épousent la cause des femmes en même temps qu’une montée de la haine à leur égard s’exprime sur les réseaux sociaux. On observe une recrudescence importante du masculinisme : comme à chaque fois qu’il y a des avancées, les résistances sont décuplées. Il n’y a pas de raison d’exclure les hommes du combat pour l’égalité. L’écrivaine Florence Montreynaud a même forgé le terme d’« adelphité », qui désigne à la fois la fraternité et la sororité. Effectivement, il est bien que des hommes soient les alliés des femmes. Nous sommes plus proches des hommes féministes que des femmes anti-féministes. C’est pour cela que je vous dis que la sororité est, selon moi, un objectif, une volonté mais pas une réalité innée ou spontanée.
Les milieux artistique et médiatique ont-ils fait preuve de sororité à l’égard de l’actrice Judith Godrèche, qui a révélé les violences dont elle a été victime plus jeune ?
Elle a été beaucoup plus soutenue qu’Adèle Haenel, qui a quand même été obligée de se mettre à l’écart du monde du cinéma mainstream et qui a été soutenue par des féministes assez radicales comme Virginie Despentes, avec sa tribune « Désormais, on se lève et on se barre », dans Libé. Alors que là, Godrèche, ça se passe aussi aux César. Quand Haenel n’avait pu que partir en disant « La honte », on a donné la parole à Godrèche. Oui, il y a une différence assez nette.
Pauline Mareix