L'hydroélectricité est-elle vraiment verte ? L'exemple avec cette rivière du Puy-de-Dôme, sous surveillance...
Depuis quelques temps, la production de la centrale hydroélectrique de Thiers (Puy-de-Dôme) sur la Durolle pose question. Sous forme d’éclusées, elle rend dangereuse la pratique de la pêche à son aval. Au-delà de ça, c’est toute une biodiversité qui pourrait se retrouver mise à mal. Alors que nous sommes… en 2024.
Une hausse brutale du cours d’eau de plusieurs dizaines de centimètres. Une demi-heure plus tard, l’inverse se produit. En ainsi de suite. Depuis quelques temps, la Durolle connaît de fortes variations pluri-quotidiennes de son débit, de façon marquée. La cause, la production hydroélectrique de la centrale, sur le chemin du "Bout du monde". Elle fonctionne désormais par éclusées régulières (la retenue de Membrun se remplit, puis est vidée, l’eau turbinée, ainsi de suite), quand auparavant, la production se faisait "au fil de l’eau", au fur et à mesure que l’eau arrivait au barrage.
"Ce n’est pas bon"Une situation qui, premièrement, rend dangereuse la pratique de la pêche, certains pêcheurs ayant failli se retrouver bloqués au milieu du cours d’eau. Cependant, il est bien spécifié, par des panneaux, qu’une montée des eaux soudaine peut arriver. Deuxièmement, si elle est devenue dangereuse, la pêche est aussi devenue totalement improductive en aval de la centrale."C’est vrai que l’on a eu plusieurs remontées de pêcheurs", affirme Richard Dubusse, le président de l’association de pêche de Thiers-Courpière.
Lorsque l’on fait nos ateliers sur la Durolle avec les enfants, il faut être vigilants. Et niveau pêche, le poisson est dérangé régulièrement, et plusieurs endroits se retrouvent souvent à sec. Ce n’est pas bon, pour tout.
"On sait qu’il y a un impact au quotidien"C’est sans doute le plus important. L’impact sur la biodiversité, d’une telle pratique, pourrait être totalement contraire aux enjeux actuels. Comme le précise François Desmolles, directeur technique à la Fédération de pêche du Puy-de-Dôme et docteur en hydrobiologie : "Ce fonctionnement par éclusées a été approuvé par l’administration, mais le débit réservé n’est clairement pas celui que l’on aurait souhaité. Et par expérience, on sait qu’il y a un impact au quotidien, sur toute la population de la rivière, des invertébrés aux poissons, qui ne savent plus où ils habitent."
Le débit réservé permet de ne pas être en situation d’étiage, pour ne pas que ce soit trop défavorable au milieu, "mais quand on réduit la capacité d’habitat, ou la surface de production, on a une perte de population, liée à la concurrence d’habitat", affirme le technicien. Et c’est sans parler de l’impact sur la reproduction.
L’hydrologie remise en cause par l’exploitantAlors, pour faire entendre sa voix, la Fédération de pêche devra procéder à des études lors de pêches électriques, pour mesurer la densité et la structure de la population, des juvéniles aux plus âgés.
Nous devons toujours étayer nos propos, apporter des arguments. Si l’impact est démontré, nous pourrions demander de modifier la fréquence des éclusées. Même si on comprend qu’il peut y avoir une perte de production. L’idéal serait quand même de travailler comme avant, au fil de l’eau.
Contacté, Benoît Philpps, directeur adjoint de la Shema, filiale d’EDF qui exploite la centrale hydroélectrique, affirme "ne pas partager le constat". "Pour nous, il n’y a pas eu de changement de modèle d’exploitation. La période où l’on aurait beaucoup moins fait d’éclusées, c’était il y a une dizaine d’années." Lequel doute également de l’impact sur l’environnement.
Et s’il ne voit pas de "raison technique", il met en cause l’influence de l’hydrologie, ce qui pourrait expliquer le fonctionnement bien plus marqué par éclusées, de la centrale : "Plus le débit est important, plus on peut produire au fil de l’eau, et faire tourner la centrale de façon régulière. Mais quand il n’y a pas beaucoup d’eau qui arrive dans le barrage, on doit le laisser se remplir. On constate qu’en 2023, le débit moyen journalier en tête de barrage est de 2m3 seconde, quand on turbine à 4." CQFD ?
Alexandre Chazeau