Grandes Rencontres de Vichy : des romancières passionnées venus se passer le (bon) mot

Des phrases marquantes, des échanges animés et une ribambelle d’anecdotes savoureuses. Le grand bouillonnement intellectuel a fait son effet, ce samedi 9 mars, à l’occasion de la première journée de ce millésime 2024 des Grandes Rencontres de Vichy. Trois romancières de renom se sont confiées à Philippe Lapousterle, à cœur et à livres ouverts. Morceaux choisis.

Tatiana de Rosnay

Tatiana de Rosnay, première invitée de cette édition, a offert au public une explication précieuse de la genèse de son livre Poussière blonde (ed. Albin Michel, 2024). Elle a partagé avec passion les coulisses de sa création littéraire et du processus d’imagination qui a donné naissance à cette œuvre remarquable.Un récit qui met en scène la rencontre poignante entre deux figures complètement opposées : Marilyn Monroe et une femme de chambre nommée Pauline. "En fait ce livre, c’est ma rencontre avec Marilyn et pas une simple biographie comme on peut le voir dans des centaines de livres".

L'écrivaine Tatiana de Rosnay est venue parler de son livre Poussière blonde. 

Tatiana de Rosnay, questionnée par Philippe Lapousterle, a su transporter le public dans l’univers complexe de ces deux personnages, révélant les nuances de leurs vies et de leurs émotions. Elle a exploré les thématiques profondes de l’identité, de la célébrité et de la solitude à travers cette histoire. Mais ce n’est pas tout, Tatiana de Rosnay, à travers ses lignes s’est imaginée au Nevada. "Pour tout vous dire, je n’y suis jamais allée, tout a été inventé. Mais c’est notre rôle à nous, auteurs, de vous faire croire que tout est vrai."

Avec Bella Italia : un itinéraire amoureux (ed. Tallandier, 2023), son dernier opus en date, qui lui a valu de recevoir le Prix de la critique Valery-Larbaud, Christiane Rancé tisse sur le fil d’un récit intime et itinérant l’histoire d’une folle passion pour un pays, l’Italie. L’Italie, que la romancière a voulu rejoindre dès la fin du confinement, "pour renouer avec quelque chose de joyeux", dans ce pays "qui est le dernier au monde à pouvoir croire au bonheur". Une Italie multiple, aussi, d’une Toscane si touristique à un Naples "à la fois grecque et normande, raffinée et crasseuse, où l’on ne fait soudain qu’étape pour se rendre à Capri ou Pompéi, alors qu’elle ne manque pas d’intérêt".

Christiane Rance et Philippe Lapousterle ont longuement parlé d'Italie. 

Et puis il y a Venise, cette cité des Doges que Christiane Rancé se souvient avoir découvert toute petite, en bateau, à l’aube, voyant se dessiner devant elle l’île de San Lazzaro comme un mirage. "Une des plus belles émotions de ma vie", dixit l’écrivaine. Qui, questionnée par Philippe Lapousterle sur son rapport si particulier à ce pays, finit par rappeler ce bon mot de Cocteau : "Les Italiens sont des Français qui sont joyeux". De quoi déclencher sourires et hochements de tête parmi un public plongé, une heure durant, de l’autre côté des Alpes, à la table de quelque trattoria où l’appétit d’ailleurs est tout sauf un vilain défaut.

Elle est déjà une active femme de théâtre, de cinéma, de télévision, et même de chanson. Mais ce samedi après-midi, c’est bien en tant que romancière que Rachida Brakni est venue présenter Kaddour (ed. Stock, 2024), son premier livre. Un ouvrage né en pleine crise sanitaire, après la mort d’un père, Kaddour, qui avait dû être inhumé sans ses proches dans son pays, l’Algérie, la faute aux restrictions sanitaires d’alors. Un déchirement pour une fille qui a ainsi voulu rendre hommage à cette figure paternelle à qui elle devait tant.

Rachida Brakni ici à la rencontre d'un public conquis par son premier ouvrage.

"J’ai voulu lui rendre tout ce qu’il m’a donné", a ainsi pu expliquer l’écrivaine, devant un public soudainement plongé dans l’intimité d’une famille marquée par l’exil, le labeur, le sacrifice, mais surtout l’amour. L’amour d’un père, de parents "qui m’ont toujours soutenu dans mes choix, même lorsque j’ai décidé de devenir comédienne", a pu détailler Rachida Brakni, pas peu fière de rappeler ce jour où son père a fait d’elle un homme. "Une dame était venue sonner chez nous pour dire à mon père qu’elle m’avait vu dehors avec des gens, qu’il fallait qu’il fasse attention à mes fréquentations. Mon père lui a rétorqué que c’était impossible, car il n’avait que des garçons. En me disant ça, il ne faisait pas insulte à mon sexe, il faisait juste de moi l’égal d’un homme. C’était un vrai cadeau".

Le cadeau d’une figure paternelle qui a toujours vécu dans une zone grise, "avec la France qui n’était pas son pays, et cette Algérie qui ne l’était plus". Et la romancière de conclure par l’essentiel, sans doute : "C’est que mon père est pour moi comme un membre fantôme. Même disparu, il est encore avec moi. Il est là…". Présent comme ce public vichyssois ému et forcément désireux d’aller rencontrer ce Kaddour, cette Italie, cette Pauline, si bien décrits par des auteurs passionnés. Et passionnants.

Textes Dounia Lemmouchia et Pierre Geraudie

Photos François-Xavier Gutton