En dix ans, la surface des vergers de châtaigniers a triplé en Corrèze, mais...
La prolifération d’un champignon, faisant pourrir les fruits, entraîne de sévères pertes de production dans les vergers de châtaigniers corréziens, qui restent trop tournés vers le marché du frais.
À son nom scientifique, "gnomoniopsis castanea", quasiment imprononçable, on préfère celui de "pourriture des châtaignes". Il donne immédiatement une idée de ses conséquences : " D’extérieur, la châtaigne est belle. Quand on l’ouvre, elle est pourrie. Ce champignon provoque de gros dégâts"», décrit Vincent Cachery, qui exploite un verger d’une vingtaine d’hectares à Lubersac, au nord-ouest de la Corrèze.
" Sa présence a explosé en 2023 dans le département, poursuit Anne-Marie Cousty, productrice et à la tête d’une entreprise corrézienne de transformation. Il n’y a pas de traitement. Et si 20 % des fruits sont malades, c’est le lot entier (300 à 400 kg, NDLR) qui est refusé. En 2023, 30 % à 40 % de la récolte ont été touchés".
Un coup dur pour toute une filière qui, dans le Sud-Ouest (*), s’organise principalement en Corrèze et en Dordogne ; on est loin de l’époque, (début XIXe siècle) où les châtaigneraies nourrissaient tout un peuple.
Exode rural, changement de culture et d’alimentation (le châtaignier était "l’arbre à pain"), développement de la maladie de l’encre ont fait décliner la production.
Dix ans de progressionUn élan de plantation entre 2010 et 2020 laissait entrevoir un nouveau dynamisme. La Corrèze ou la Haute-Vienne ont vu leur surface de châtaignier multiplier par trois ; en Creuse, c’est fois 27, une hausse à tempérer largement. Dans ce département, les surfaces sont passées de 0,6 ha à 16,72 ha en une décennie.
On a surtout planté des variétés à gros fruits : bouche de Bétizac, marigoule…
« C’est pour le marché du frais, explique Anne-Marie Cousty, qui est aussi à la tête de l’antenne départementale de l’Union interprofessionnelle châtaigne Sud-Ouest. Aujourd’hui, ce marché arrive à saturation. Celui de la transformation semble plus prometteur, mais avec des fruits plus petits, sucrés…
La variété bellefer, issue des recherches agronomiques des années 1990, porte tous les espoirs.Vincent Vacherie, Cécile Valéry et Anne-Marie Cousty rappellent que la culture du châtaignier reste très exigeante.
Car pour l’interprofession, le développement de nouveaux vergers et d’une production de qualité pour la transformation constitue une opportunité. À son échelle, Cécile Valéry a tenté le pari.
Soupes, conserves, farine, brisures...Installée à Saint-Sornin-Lavolps, elle vient de reprendre le verger familial et a décidé d’y ajouter un petit atelier de transformation. Photo Stéphanie Para.
"Les châtaignes sont produites en bio et j’en fais des soupes, des conserves, des crèmes de marrons", distribués sur les marchés. On peut aussi faire de la farine, mettre les fruits sous-vide ou en surgelé, sans négliger les brisures de châtaignes qui agrémentent boudins et salaisons.
"Il faut faire évoluer la manière de consommer les châtaignes, poursuit Anne-Marie Cousty. En France, on ne les mange qu’en hiver et pour les fêtes de fin d’année. Elles sont considérées comme un fruit sec ou pour la décoration".
La châtaigne peut bien sûr se consommer tout au long de l’année, idéale pour accompagner le poulet rôti/haricots verts du dimanche, "et même à l’apéro", selon Cécile Valéry. Sans gluten, pauvre en sucre, riche en potassium, ce fruit a une carte à indéniablement une carte à jouer.
La culture du châtaignier n’est pas plus facile que celle d’un autre fruitier. La première récolte n’intervient que sept à dix ans (selon la densité) après la plantation ; elle est souvent envisagée pour diversifier une exploitation ou la compléter (par exemple, les volailles).
"En Corrèze, il vient naturellement", acquiesce Vincent Vachery, qui mène son verger en agroforesterie, "avec quelques moutons".
Mais il y a des aspects spécifiques. Cet arbre craint l’excès d’eau, par exemple. Cela peut provoquer une asphyxie des racines. Or, depuis novembre, il n’arrête pas de pleuvoir. J’ai peur que certaines parcelles ne repartent pas
Là comme ailleurs, le dérèglement climatique redistribue les cartes, s’ajoutant aux maladies (chancre, encre) et aux ravageurs, comme le cynips, un insecte originaire de Chine. L’introduction de son prédateur naturel, le torymus, a permis une régulation.
Et l’irrigation s’impose pour accompagner la plantation d’un verger en Corrèze, même si le risque sécheresse est moins virulent sur des arbres installés.
Des changements anticipés aussi l’échelle de l’Europe : le Portugal, l’Espagne et l’Italie risquent de voir leur production mise à mal. Le ministère français de l’Agriculture a signé, lors du Salon de l’agriculture 2024, une convention avec le Syndicat national des producteurs, afin de lancer les travaux d’un plan de soutien. La châtaigne n’a pas encore dit son dernier mot.
(*) L’Ardèche et la Drôme constituent le premier bassin de production avec 4.000 tonnes annuelles. C’est 3.000 tonnes par an pour le Sud-Ouest.
En chiffres. Selon l’Union interprofessionnelle châtaigne Sud-Ouest, la Corrèze abrite un verger de plus de 715 hectares (chiffre 2020) et se place juste derrière la Dordogne (1.087 ha) pour le bassin de production du Sud-Ouest. La Haute-Vienne (515 ha) et le Lot (357 ha) viennent ensuite. Sur la période 2010-2020, le développement du châtaignier en Corrèze se fait surtout sentir dans le secteur d’Uzerche (+ 179 ha), d’Allassac (+ 106 ha), ou de la vallée de la Dordogne (+ 22 ha).