Plus de 60 % des nouvelles maladies proviennent des animaux : quelles armes contre les virus ?

Quatre ans après le premier confinement, que retenir pour notre avenir de cette gigantesque crise sanitaire ? Des scientifiques répondent.

Fruit des travaux de 27 scientifiques français, « L’ère des pandémies : Covid, les avancées de la recherche » dresse un état des lieux d’une crise sanitaire qui a surpris le monde par son ampleur, sa fulgurance et sa virulence. Mais il trace aussi des pistes pour nous éviter de revivre le pire. Le point avec la chercheuse en biologie évolutive Florence Débarre, directrice de recherche au CNRS, qui a co-dirigé cet ouvrage à la portée du néophyte.

Il semble bien qu’on ait fini par perdre de vue ce virus qui nous a empoisonné la vie. Et qu’on ait appris plus ou moins à vivre avec lui. Qui sait, par exemple, que le variant JN.1 est aujourd’hui dominant en France et au niveau mondial ? Mais il faudra s’y faire aussi : on n’en a pas fini avec le Covid.

« C’est une nouvelle maladie qui est là pour rester, renseigne Florence Débarre. Le virus continue de se transmettre d’humain à humain, comme d’autres infections. A priori, il n’y a aura pas d’éradication à court terme. » Consolation, l’état d’urgence est officiellement derrière nous.

Faut-il considérer désormais le Covid comme la grippe, une maladie qui fait partie de notre vie, de génération en génération ? 

« Quand on parle de grippe, il est question de saisonnalité, ce qui n’est pas encore établi pour la Covid-19. Mais il y a des points communs par exemple en ce qui concerne la nécessité de mettre à jour les vaccins suivant le variant qui circule.  »

Les variants restant la plus lourde menace, sommes-nous toujours engagés dans une course-poursuite ? « On est parti de zéro en 2020. Aujourd’hui, on comprend mieux comment le virus se réplique, quels sont les traitements possibles. Cependant, il reste des parts d’inconnu, en particulier quel type de variant émergera dans le futur. On n’a pas de boule de cristal. Mais on dispose de vaccins qui ont montré leur capacité à apporter des réponses efficaces en un temps record et à s’adapter aux variants. »

À ce stade, en raison d’une Chine peu coopérative, la communauté scientifique reste dans « l’impossibilité d’apporter une réponse définitive à la question de l’origine du virus », reconnaît Arnaud Fontanet, épidémiologiste à l’Institut Pasteur, dans la préface de l’ouvrage. Le renseignement américain avait assuré, dans un rapport rendu public en juin 2023, qu’il n’avait aucune preuve indiquant que le Covid-19 avait été créé dans un laboratoire en Chine, sans trancher pour autant sur l’origine de la pandémie.

« Toutes les données disponibles vont dans le sens d’une origine naturelle : la localisation des premiers cas autour du marché de Wuhan, en décembre 2019, la présence d’animaux sauvages qui avaient déjà été identifiés comme des hôtes du virus pour le premier SRAS, il y a vingt ans », mentionne Florence Débarre.

Si l’hypothèse d’une fuite de laboratoire, d’abord écartée par l’OMS puis réintégrée, subsiste, c’est en raison de « la seule coïncidence de l’émergence d’une nouvelle maladie dans une ville qui héberge un centre de recherche travaillant sur ce type de virus ».

Il est toujours préjudiciable de ne pouvoir établir scientifiquement l’origine d’une maladie que l’on est censé combattre. Car la compréhension des relations des humains avec leur environnement est la clef de la prévention des futures épidémies. « La connaissance historique permet d’informer les actions à venir », confirme la chercheuse.

Parmi les maladies émergentes, plus de 60 % sont des zoonoses. C’est-à-dire des maladies causées par des agents pathogènes d’animaux qui se transmettent aux humains. Et près des trois quarts proviennent de la faune sauvage, relate dans l’ouvrage Sylvie Hurtrez-Boussés, professeure de biologie-écologie à l’Université de Montpellier.

« Il s’agit donc de limiter les contacts en restreignant par exemple la vente d’animaux sauvages dans les marchés des villes denses comme on a pu le faire avec la vente d’oiseaux au moment de la grippe aviaire. Et nous, scientifiques et médecins, devons être en mesure de communiquer rapidement nos informations à l’échelle internationale quand de nouvelles maladies sont détectées », stipule Florence Débarre.

Cette surveillance doit se montrer d’autant plus active dans les zones où la biodiversité est malmenée, en particulier les régions intertropicales d’Afrique et l’Asie du Sud-Est. « Il a été démontré que les espèces hôtes d’agents zoonotiques sont beaucoup plus abondantes (+52 % pour les rongeurs, +45 % pour les chauves-souris, +14 % pour les passereaux) dans les habitats modifiés par les activités humaines », atteste Sylvie Hurtrez-Boussés.

Mais il est aussi admis de s’assurer que « les travaux de recherche sur des pathogènes potentiellement dangereux soient effectués dans des conditions de sécurité optimales », complète Florence Débarre. Afin qu’ils ne soient pas, eux aussi, sources de contamination dans le futur.

Notre salut viendra-t-il de « One Health » ? Ce concept planétaire développe l’idée que la santé humaine dépend étroitement de la santé animale et de l’environnement. Initié au début des années 2000, il fait suite à la recrudescence de maladies infectieuses liées à la mondialisation des échanges, la dégradation de l’environnement, la déforestation et le développement des villes.

Tous ces facteurs favorisent le contact entre animaux sauvages, animaux d’élevage et êtres humains. « One Health » implique que des scientifiques peu habitués à travailler ensemble partagent des ressources qu’ils n’ont pas le réflexe de mutualiser. Concrètement, des médecins font équipe avec des vétérinaires, par exemple, et s’ouvrent aux savoirs des agronomes ou des spécialistes de l’eau.

C’est précisément ce que résume ce livre, dans son avant-propos, quand il réaffirme « l’importance des approches interdisciplinaires entre l’écologie, la biologie et la santé dans une perspective de prévention, qui restent aujourd’hui la meilleure réponse à toute pathologie ».

« L’ère des pandémies : Covid, les avancées de la recherche » (CNRS-Le Cherche Midi). 176 p., 19 €.

Nathalie Van Praagh