"Les pêcheurs mettent la pression pour pouvoir en tuer un maximum" : La LPO de la Haute-Loire plaide pour le cormoran
Alors que les sociétaires de pêche en Haute-Loire pressent les autorités pour la régulation du cormoran, la LPO, elle, défend cet oiseau et cherche un terrain d’entente avec les pêcheurs.
Franck Chastagnol, chargé de mission à la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) en Haute-Loire, parle « d’accusations infondées » contre le cormoran et partage d’autres solutions aux tirs de régulation pour protéger les poissons. Entretien.
Le cormoran représente-t-il un danger pour les poissons en Haute-Loire ?
La LPO est claire : sur les cours d’eau, le cormoran assure, comme la loutre, le héron, les brochets, un prélèvement sur des poissons qui sont présents en grand nombre dans les rivières. Ils ne mettent rien en péril.
Aujourd'hui, les pêcheurs remarquent une sédentarisation de l’espèce. Partagez-vous ce constat ?
Petit à petit, ça se met en place, c’est vrai. On voit des oiseaux dès le mois de septembre, alors qu’avant, c'était plus d’octobre à avril. Il y a une extension de la période de présence. Et puis, en France, il commence aussi à nicher sur les grandes zones de lacs avec des espèces qui vont se sédentariser.
Donc, pour vous, il faut encore protéger le cormoran ?
Il faut protéger toute la biodiversité. Je ne vois même pas pourquoi on pose la question. Toutes les espèces ont leur place sur la planète. Le principal problème, c’est l’Homme. Quand on voit comment l’agriculture a modifié les campagnes, notamment la Limagne, et qu’on se retrouve avec uniquement des populations de corvidés… On a détruit toutes les autres espèces. C’est bien l’Homme qui est à l’origine du bouleversement de l’équilibre des espèces.
"Il faut protéger toute la biodiversité", pour Franck Chastagnol.On doit être vigilant parce que si on persécute encore les quelques oiseaux qui restent, il restera quoi demain pour découvrir la nature. En plus de cela, le grand cormoran, dans les rivières et même dans les bassins, assure une veille salutaire que les pêcheurs ne font pas. Tous les prédateurs consomment des animaux malades et évitent que des problèmes sanitaires mettent à mal les populations ainsi que la concentration d’une espèce. Ils contribuent à dynamiser les populations, ce n’est pas l’Homme qui va faire cela.
Avez-vous déjà abordé le sujet des solutions alternatives aux tirs de régulation avec les pêcheurs ?
Les pêcheurs doivent mettre en place des solutions alternatives avant de détruire cette espèce protégée. C’est d’ailleurs ce qu’avait demandé le juge au tribunal. Ils doivent chercher des alternatives parce que tu ne peux pas détruire directement une espèce protégée sans éléments scientifiques et sans prendre en compte toutes les règles de protection. Aujourd’hui, les choses changent parce que les pêcheurs mettent la pression pour pouvoir en tuer un maximum. La LPO considère que le grand cormoran ne pose aucun problème sur les rivières. Simplement, à notre sens, il doit être plutôt régulé sur les zones de pêches ou les élevages, sinon on estime qu’il ne constitue aucun danger sur les cours d’eau.
À chaque espèce, on peut identifier une période sensible. Au lieu de passer autant d’énergies à détruire des oiseaux qui n’ont aucun impact sur la zone piscicole
Et s’il y a des zones qu’on sait sensibles par rapport à des espèces, il est possible en journée de mettre en place des opérations d’effarouchement pour éviter que les cormorans viennent aux périodes de fraie chez la truite et le saumon. À chaque espèce, on peut identifier une période sensible. Au lieu de passer autant d’énergies à détruire des oiseaux qui n’ont aucun impact sur la zone piscicole. On doit agir ensemble et ne pas demander la destruction comme ils le font depuis des années.
Et, le tribunal a reconnu notre bon droit de demander la suspension des tirs. Parce que les pêcheurs n’apportaient pas la preuve que le cormoran mangeait tous les jours du saumon fumé au bois de hêtre (rires). Il faut qu’ils apportent la preuve qu’une population est mise à mal par le cormoran. Pour l’instant, aucun élément ne va dans ce sens.
Le cormoran ne devrait donc pas être un problème pour les pêcheurs…
C’est juste un bouc émissaire. L’Allier a bien changé depuis des décennies. On se retrouve, grâce aux pêcheurs, avec des espèces invasives comme le silure, la perche soleil, les écrevisses… Mais les cormorans sont la solution de facilité, on les voit bien et ils ne sont pas nombreux. Il y a aussi le réchauffement climatique qui va impacter et tuer des espèces de poissons et les répercussions commencent déjà. On agit toujours trop tard sur ces questions. Il y a d’autres causes énormes qu’on ne maîtrise pas.
Félix Mouraille