"La France et l’Algérie, c’est comme un couple divorcé. Nous, on est les enfants tiraillés" : ce Puydomois raconte la guerre
Alors que l’on commémore aujourd’hui le cessez-le-feu de la guerre d’Algérie, Amar Bensaila revient sur son parcours de Sétif à Thiers, dans le Puy-de-Dôme. Le Franco-algérien âgé de 77 ans a quitté son pays natal il y a cinquante-six ans.
Des visages portés comme un étendard de ce que son pays a pu connaître de pire. Amar Bensaila arrive avec un livret dans lequel sont répertoriées des centaines de photographies de fusillés du massacre de Sétif. Des hommes et des femmes. "Là, c’est Malika, ma cousine, introduit-il en tournant les pages. C’était ça l’Algérie française."
Naissance en 1947Né en 1947, le Thiernois n’a pas été témoin des événements sanglants qui ont eu lieu dans le village où il a grandi, mais son père, lui, y était. Le 8 mai 1945 et les jours qui ont suivi, alors que la victoire des Alliés sur le nazisme est célébrée sur tout le territoire algérien, "des milliers de personnes sont mortes parce qu’un scout musulman de 22 ans, Bouzid Saâl, a refusé de baisser le drapeau algérien pendant une manifestation indépendantiste pacifiste". Selon l’histoire officielle algérienne, les émeutes et la répression ont fait 45.000 morts (*). "C’était les prémices d’une nouvelle guerre. Pourtant, trop de Français ignorent toujours ce qu’il s’est passé chez nous le jour de l’armistice."
Une encyclopédie vivante de l'AlgérieAmar Bensaila, aussi appelé Bouldouna ("tête dure"), est âgé de 77 ans et il a son pays dans la peau, à l’image de l’étoile algérienne tatouée sur sa main. "Si vous voulez savoir quoi que ce soit sur l’histoire de la guerre, adressez-vous à lui", nous a dirigé l’imam de la mosquée Ar-Rahma. Pourtant, il n’a que sept ans le 1er novembre 1954, lorsqu’elle est déclarée.Ses souvenirs reviennent par flash. Il raconte la fois où un policier l’a frappé parce qu’il comptait le nombre de gendarmes dans la rue. Se souvient des familles qu’il a connues, qui ont perdu un, deux ou trois membres. Et de son pays, laissé à feu et à sang en 1962. Sans oublier le couvre-feu, les intimidations et les camps de concentration.
Les jeunes français qui arrivaient pour combattre étaient complètement perdus eux aussi. Cette guerre a laissé des cicatrices à tout le monde. Il y a eu trop de mensonges, pendant trop longtemps
Un début de vie marqué par les inégalitésDe sa vie en Algérie, Amar semble surtout marqué par les inégalités. Les Arabes privés d’école pour garder les moutons des Français dans les campagnes, les postes à responsabilités réservés aux colons, les études de médecines interdites… Soixante-deux ans après, il a toujours du mal à contenir ses larmes.
Si on avait eu les mêmes droits politiques, économiques et sociaux, l’Algérie serait peut-être encore française. Mais nous avons été trop humiliés.
Après la guerre, Amar atterrit en Auvergne à l’âge de 21 ans, grâce à une connaissance. "Il n’y avait plus de travail chez nous, et je me sentais Français, je parlais la langue." Il passe un CAP soudeur et s’installe dans la cité coutelière. "À l’époque, on me comparait à l’acteur James Dean. C’est comme ça que j’ai séduit ma première femme", rigole-t-il. Avec elle, il a quatre enfants avant de se remarier et d’avoir son plus jeune fils, âgé de 25 ans. "Je me suis toujours senti bien ici. J’ai des amis Algériens, des Français. Personne ne fait de différence." Et au racisme dont il y a parfois été victime, il a toujours répondu la même chose : "Vous êtes restés 132 ans chez nous, pourquoi on ne resterait pas 132 ans aussi ?"
L'heure de reconnaîtreEn racontant son histoire, le Thiernois ne ressent pas de colère, seulement de l’injustice. "On ne peut pas revenir en arrière, mais il est temps que la France reconnaisse ce qu’il s’est passé pour avancer vers le pardon. Pour tous les massacrés, pour nous, qui sommes restés et pour les générations d’après."Aujourd’hui, Amar est fier de porter la double nationalité franco-algérienne et ne perd pas espoir de voir les deux pays se rapprocher.
La France et l’Algérie, c’est comme un vieux couple divorcé. Et nous, on est les enfants, tiraillés entre les deux. Si une vraie réconciliation a été possible avec l’Allemagne, pourquoi pas avec nous ?
De son côté, le Thiernois ne cesse de raconter ce qu’il s’est passé, à ses amis, ses enfants et petits-enfants, pour que l’histoire des Algériens ne tombe jamais dans l’oubli.
Angèle Broquère