Pourquoi la plupart des barrages d'EDF hydro en Corrèze sont-ils empêchés de produire davantage d'électricité ?
Dans la vallée de la Dordogne, EDF hydro continue à gérer les barrages malgré des concessions échues depuis plusieurs années pour certains. Quelles sont les conséquences pour leur gestion ? Si la maintenance et les investissements courants sont réalisés dans le cadre d’un « délai glissant », impossible pour l’heure d’augmenter la production maximale de ces barrages. Une contradiction alors que les énergies renouvelables sont l’avenir.
Lors d’une question au gouvernement en décembre dernier, le sénateur (Mouvement radical) de la Corrèze Daniel Chasseing interrogeait sur « la remise en concurrence des concessions des barrages hydroélectriques imposée par la Commission européenne à la France depuis une mise en demeure du 22 octobre 2015 ». Il allait plus loin et questionnait : « Quelles dispositions entend prendre le Gouvernement pour enfin libérer les investissements pour nos barrages sans passer par une remise en concurrence ? », alors que l’absence de renouvellement des concessions empêche les barrages de produire davantage. Où en est-on des concessions des barrages dans la vallée de la Dordogne ?
Qu’est-ce qu’une concession ?En France, les ouvrages de production hydraulique dont la puissance est supérieure ou égale à 4,5 mégawatts (MW) sont exploités dans le cadre de contrats de concession accordés par l’État à des concessionnaires. EDF mais aussi la Shem (*) ne sont donc pas propriétaires de barrages mais seulement gestionnaires, via ces concessions. Mais depuis plus de quinze ans, la France et la Commission européenne ont engagé un bras de fer sur ces concessions, la Commission européenne considérant que la législation française contrevient au droit européen en autorisant le renouvellement ou prolongation des concessions sans recourir à des appels d’offres. Des appels d’offres qui n’ont pas été relancés par la France qui refuse la mise en concurrence et plaide pour la mise en place de quasi-régie, et ce malgré deux mises en demeure de l’État par l’Europe en 2015 et 2019. Depuis quinze ans, une partie des concessions sont donc échues, faute d’appels d’offres lancés.
Où en sont les concessions en Corrèze ?Celle du barrage de Bort-les-Orgues est échue depuis 2012, celle du barrage de l’Aigle depuis 2020, celle de Monceaux La Virolle depuis 2019. Ces ouvrages bénéficient depuis la date d’échéance d’un « délai glissant », c’est-à-dire que le cahier des charges de la concession échue continue à s’appliquer, mais les augmentations de puissance y sont exclues. La concession du barrage du Chastang, quant à elle, arrivera à son terme en 2026.
Découvrez les entrailles du barrage hydroélectrique de Bort-les-Orgues
Quelles sont les conséquences du non-renouvellement des concessions pour la gestion des barrages ?« Au regard du contexte de transition écologique, il y a des besoins accrus de production d’hydroélectricité, indique Vincent Marmonier, directeur d’EDF hydro pour la vallée de la Dordogne. Il y aurait des travaux possibles pour augmenter la production, il y a sur certains barrages la possibilité d’augmenter le nombre de turbines ou la puissance. Mais ces gros investissements sont bloqués par le non-renouvellement des concessions. » Pour exemple, à Hautefage dont la concession est en cours jusqu’en 2032, une nouvelle turbine vient d’être installée. En revanche, à Bort-les-Orgues où la concession est échue, impossible d’en installer une nouvelle. « Sur la vallée, il y a toujours de l’investissement (lire ci-dessous), poursuit Vincent Marmonier. Nous faisons de l’entretien, de la maintenance, mais nous ne pouvons pas mener, sur les équipements dont les concessions sont échues, d’investissements lourds permettant de produire davantage. » Et au Chastang ? « Il ne reste que trois ans, c’est trop court pour engager de tels projets », confie-t-il.
Et maintenant ?Début 2023, la Cour des comptes a, dans son rapport annuel, demandé à l’État de « sortir rapidement de cette situation (de blocage, NDLR) afin d’éviter que la gestion d’ensemble du parc hydroélectrique ne se dégrade et qu’il ne puisse jouer pleinement son rôle dans la transition écologique », recommandant à l’État de « prendre en compte les conséquences industrielles, économiques et financières au moment d’opter soit pour la reprise en régie ou quasi régie des concessions échues, soit pour leur mise en concurrence ».Dans sa réponse datée d’avril 2023, la première ministre de l’époque Élisabeth Borne indique que si la « quasi-régie a été envisagée pour pouvoir attribuer à EDF, de gré à gré, les contrats de concessions des ouvrages hydroélectriques que ce dernier exploite », ce schéma a été abandonné avec le projet Hercule. Depuis, aucune décision n’a été prise et le statu-quo quant à l’augmentation de la puissance de production d’électricité des barrages corréziens perdure. (*) Sollicitée, la Shem qui gère le barrage de Marèges, n’a pas donné suite à notre demande.
Estelle Bardelot