Faut-il avoir de gros biceps pour être chef de l'État ?

On s’habitue à tout. Même à voir les élus, jusqu’à la plus haute fonction, exhiber leur virilité et mettre en scène leurs corps. Les photos d'un Emmanuel Macron transpirant à la salle de boxe ont fait le tour du monde. Derrière, évidemment, un calcul de communicants. Agaçant, peut-être, peu subtil, certainement, mais diablement efficace.

Ce serait touchant dans une cour de récréation. Quoiqu’un peu cliché. Des petits garçons qui exhibent leurs biceps. Mais là il s’agit du président de la République. Ou de Nicolas Sarkozy, sur le compte de son épouse. Ou d’Olivier Véran vacciné contre le Covid.

Avec la question du pouvoir se pose la question de son incarnation. Ce n’est pas récent. On se souvient du tableau de Louis XIV de Rigaud. Ou de Mussolini posant torse nu.

Rien de nouveau sous le soleil rappelle François Hourmant, professeur de science politique et auteur de Pouvoir et beauté (éd. PUF). Aristote appelait cela l’ethos. C’est dire si l’affaire remonte. Elle est même atavique. Digne d’un gorille alpha. Sauf qu’ici le comportement est calculé. Programmé.

Ne rions pas de ficelles de communication aussi subtiles qu’une réclame pour de la lessive. Parce que cela fonctionne. « On se souvient de la voix de Macron qui déraille sur son fameux "C’est notre projet”. Il y a une dissonance entre être président et cette voix dans les aiguës. Le vote n’obéit pas à une logique rationnelle. Le vote est une logique de séduction. »

Et dans ce corps devenu support de communication, la boxe est à la mode. « À la fois sport populaire et aristocratique ». Elle a séduit Édouard Philippe, Manuel Valls, Valérie Pécresse… et leurs staffs de communicants. Dans le cas récent du président, la posture « répond clairement à Poutine. Il y a chez Macron un fantasme guerrier. Pendant le Covid, il était le seul président à utiliser le terme de “guerre”. Quand Zelensky porte une tenue guerrière, Macron apparaît avec un hoodie des commandos de parachutistes, sauf qu’il est sous les ors de l’Élysée. »

Emmanuel Macron met beaucoup son corps en scène. Des débats, au cœur de la foule, à sa marche solitaire à la pyramide du Louvre lors de son élection. Peut-être des explications psychologiques, mais aussi une Ve République, et son fameux président « clé de voûte », qui pousse à la surincarnation. « Dans les textes mais aussi dans la pratique. Nicolas Sarkozy était l’hyper-président. Emmanuel Macron, le président jupitérien. » Nicolas Sarkozy à vélo. Nicolas Sarkozy qui court. Nicolas Sarkozy qui fulmine en regardant Dominique de Villepin dans une sortie jamesbondienne de la mer. 

Ce qui est notable chez Macron ou Sarkozy, c’est l’impression que c’est surjoué. Pour Nicolas Sarkozy on parlait de “virilité mascarade”, comme chez Trump.

Nicolas Sarkozy. Emmanuel Macron. Mais alors, quid de François Hollande ? « Il y a plusieurs manières d’incarner ce rôle. Mais à travers les surnoms que l’on donnait à François Hollande – “fraise des bois”, “flanby”, “capitaine de pédalo” – on voit bien qu’on attaque le physique. On reste dans la même logique. Et puis, la mise en valeur de la volonté est plutôt une idéologie libérale. On est maître de son destin. “Il suffit de traverser la rue pour trouver du travail.” » La bonhomie pour la gauche, le muscle saillant pour la droite.

François Hollande, président dont le corps a été mis en scène malgré lui.

Pour François Hourmant, les présidents vivent la même époque que nous finalement. Celle des identités multiples. « De Gaulle avait un corps par exemple. Un corps politique. Un corps en majesté. Aujourd’hui, il y a un double corps. Celui des cérémonies officielles et un second plus physique. » D’ailleurs, les photos du président boxant ne sont pas publiées sur le compte de l’Elysée. Mais sur celui autorisé de Soazig de La Moissonnière, la photographe officielle.

Et les femmes dans tout ça ? Elles qui doivent déjà jouer au quotidien de leur apparence, avec une subtilité d’ingénieur de la Nasa. Ont-elles un temps d’avance pour le coup en politique ? Non. Joies du patriarcat, elles sont encore perdantes. « Elles sont obligées de jouer de leur image mais avec un risque immense d’être renvoyées à leur physique et à tous les stéréotypes : si on est belle, on est frivole. Ce peut-être un atout, comme les hommes, mais c’est aussi un piège, celui de se voir nier ses compétences. »

Et la relève est assurée. Les deux poulains de la politique française ne dérogent pas. Attal, Bardella. 

Ils représentent les deux formes de virilité. Gabriel Attal, une virilité qu’on appelle de privilège. Policée, de la classe bourgeoise. Jordan Bardella présente une virilité ressource. Exhibée, ostentatoire -il évoque souvent la salle de sport-, qui renvoie à un ancrage plus populaire. C’est souvent une virilité investie par les outsiders.

Il y aurait de quoi en rire si tout cela n’influençait grandement les votes. Un peu plus qu’influencer même puisque les études montrent que ces apparences jouent plus dans nos prises de décisions que la raison. Le vote est une certitude à court terme. Que faire ? Rien. « Il existe une prime à la beauté hors politique aussi. Dans la vie quotidienne. Pour tout le monde. Et elle est d’autant plus forte que nous n’en avons pas conscience. C’est un biais considérable. » 

Simon Antony