"Pour l'État islamique, l'attentat de Moscou est une façon de dire : nous sommes capables de refaire des Bataclan"

L’attaque qui a fait au moins 137 morts vendredi 22 mars à Moscou peut-elle augmenter le risque d’attentat en France ? L’exécutif le redoute. La branche du groupe djihadiste État islamique « avait conduit ces derniers mois plusieurs tentatives » sur le « sol » français, a déclaré ce lundi Emmanuel Macron.

"La menace terroriste islamiste est réelle, elle est forte" et "n’a jamais faibli", a déclaré ce lundi 25 mars 2024 le Premier ministre lors d’une visite à la gare Saint-Lazare, à Paris, dans le cadre du relèvement de Vigipirate à son niveau le plus élevé : « urgence attentat ».

Gabriel Attal a aussi dévoilé que deux projets d’attentat avaient été « déjoués » en France depuis le début de l’année. "La France reste une cible de choix des organisations djihadistes", assure Laurence Bindner, chercheuse, cofondatrice de JOS Project, plate-forme d’analyse des discours extrémistes en ligne.

L’urgence attentat est le troisième échelon du plan Vigipirate, après celui de « vigilance » et de « sécurité renforcée – risque d’attentat ». Créé en 2016, ce niveau ultime "peut être mis en place à la suite d’un attentat ou si un groupe terroriste identifié et non localisé entre en action". Il a été mis en place pour la dernière fois en octobre 2023, après l’assassinat du professeur de français Dominique Bernard, poignardé à mort dans le lycée d’Arras. Le plan Vigipirate était redescendu mi-janvier au seuil « sécurité renforcée – risque d’attentat ».

Le niveau « urgence attentat » permet de renforcer la sécurité autour des établissements scolaires et de lieux de culte ainsi que dans les transports et à proximité des institutions. Des patrouilles supplémentaires de la force Sentinelle sont programmées, ainsi que les fouilles de sac ou filtrage. Lundi 25 mars, Gabriel Attal a annoncé que des "moyens exceptionnels" seraient déployés "partout sur le territoire" avec "4.000 militaires supplémentaires […] en alerte".

L’imminence des Jeux olympiques en France du 26 juillet au 11 août fait de l’Hexagone une cible de choix pour les groupes djihadistes. "C’est le fantasme de tous les grands groupes terroristes que de pouvoir porter à un coup qui va en plus avoir un retentissement médiatique et économique", indique Amélie-Myriam Chelly, docteure en sociologie et spécialiste des islams politiques."Les JO, en tant qu’événement médiatique international majeur, constituent un moment de choix pour les groupes terroristes, avec l’assurance d’une médiatisation maximale de leurs actions, renchérit Laurence Bindner. Mais si ces groupes frappent de manière opportuniste, ils savent également que les autorités seront sur le qui-vive au moment des Jeux."

"Ceci s’explique par plusieurs raisons, développe Laurence Bindner. Notamment l’accusation à l’encontre de la France de combattre l’islam à la fois sur un terrain militaire, avec l’envoi de troupes françaises dans des pays musulmans, mais aussi géopolitique - on lui reproche sa collusion avec des pays désignés comme ennemis de l’islam, comme les États-Unis ou Israël - ou religieux, avec la laïcité. Il y a aussi le mode de vie et l’irrévérence de la tradition anticléricale française."

Pour Amélie-Myriam Chelly, l’EI montre que "sa capacité de frappe va au-delà du Moyen-Orient. Depuis que sa territorialisation en Syrie et en Irak a disparu en 2018, différentes branches de Daesh sont restées actives. La plus active, c’est Daesh Khorasan, en Afghanistan : c’est le nouvel épicentre des forces de frappe. Ils sont extrêmement actifs, il y a des attentats tous les deux jours en Afghanistan ou ailleurs, comme en Iran, en janvier, très meurtrier. Mais il n’y avait pas cette faculté de projeter des attentats de grande ampleur sur un territoire non moyen-oriental ou non-Africain. C’est une façon de dire : “Nous sommes capables de refaire des Bataclan, nous retrouvons nos forces.”"

L’expert en terrorisme Jean-Charles Brisard résume sur X (anciennement Twitter) : "L’EI a atteint un seuil critique qui lui permet désormais de projeter des attentats en Europe en s’appuyant sur des relais dans les pays européens ou sur des membres qui y seraient envoyés".

Les experts craignent d’autres passages à l’acte. Laurence Bindner constate ainsi sur le numérique qu’une "effervescence dans les sphères pro EI a succédé à l’attentat de Moscou. L’État islamique a évidemment besoin de coups d’éclat pour recruter." Selon Amélie-Myriam Chelly, "un grand risque, c’est une exhortation comme en 2014 à ce que tous “les soldats d’Allah”, pour reprendre le terme d’Al-Adnani (NDLR, ex-porte-parole de l'organisation djihadiste tué en 2016) à l’époque, ne pouvant se rendre sur le territoire, usent de ce qui leur tombe sous la main, des camions, des pierres, des couteaux ou autres, pour perpétrer des attentats sur place."

Nicolas Faucon