À l'approche de la retraite, la difficile question de la transmission pour ce couple d'agriculteurs de Haute-Loire

Un couple d’agriculteurs de Vieille-Brioude va bientôt prendre sa retraite et céder son exploitation. Une situation qui suscite craintes et interrogations.

"Plus le temps passe et plus on est bien obligé d’y penser. Un jour ou l’autre, il faudra passer la main. " Cette sentence, même si elle ne sonne pas encore comme un glas, résonne depuis quelque temps dans les têtes de Didier Colle et Marie-Pierre Savastano. Ce couple d’agriculteurs, producteurs de lait bio à Vieille-Brioude, va bientôt faire valoir ses droits à la retraite et se résoudre à transmettre son exploitation :  " Dans six ou sept ans ", prévoit Didier Colle. Le 6 mai, l’association dASA (Développement et animation en Sud Auvergne) était présente sur l’exploitation du couple pour un après-midi de visite et d’échanges sur le thème "Venez parler transmission ". Un moment d’écoute et de partage en compagnie d’une poignée d’autres exploitants, à la retraite ou encore en activité.

Didier Colle a repris l’exploitation de son père en 1987. Il produisait de la viande et du lait avant de se recentrer uniquement sur le lait :

" En 2012, la laiterie cherchait du monde pour se convertir à la production bio. On a décidé de franchir le pas. J’ai arrêté de faire de la viande et on a tout basé sur le lait "

rembobine l’agriculteur qui se revendique petit exploitant, avec ses 54 hectares de terre et ses 22 vaches laitières.

Quant à Marie-Pierre Savastano, elle est sur l’exploitation depuis une quinzaine d’années et reconnaît qu’avant, elle ne connaissait rien au monde agricole, seulement guidée par sa passion des animaux. " Je ne m’occupe pas de la traite, ni de l’entretien des champs, mais je m’intéresse plutôt à l’alimentation des bêtes et à leur bien-être. J’ai fait beaucoup de formations dans ce domaine. "

Comment appréhender ce tournant, parfois d’une vie ou tout au moins d’un morceau de vie, consacré à une activité professionnelle qui est en même temps une passion ? " C’est bien d’anticiper et de pouvoir réfléchir à la transmission. Nous n’avons pas d’enfants, ni de repreneurs proches donc forcément, le problème se pose… " 

" J’aimerais que ça reste une petite exploitation, avec une personne jeune qui assure la continuité de ce qu’on a déjà fait. Il faut donner leur chance aux jeunes."

Les problèmes qui se posent aux agriculteurs au moment de transmettre leur exploitation sont nombreux. D’abord en termes de durée de cotisation et de pensions de retraite. En lien avec les dernières évolutions législatives (lois Chassaigne 1 et 2) : " Il faut 43 années de cotisation en tant que chef d’exploitation pour prétendre à une retraite d’environ 1.000 €. Je n’y aurai pas droit vu que je n’ai jamais été cheffe d’exploitation. J’ai simplement le statut de conjoint collaborateur. Je n’ai pas suffisamment cotisé auprès de la Mutuelle sociale agricole ", se désole Marie-Pierre Savastano.

Dans le cas de ce couple d’exploitants brivadois, la question matérielle se pose aussi. "Il faut faire estimer le troupeau et les bâtiments. Dans notre cas, le problème de notre maison, qui fait partie de l’exploitation, se pose aussi. " Entre aussi en ligne de compte, quand on s’apprête à céder son exploitation, la dimension sentimentale et humaine. Marie-Pierre Savastano aimerait absolument que sa ferme reste en l’état et ne parte pas à l’agrandissement. Alors que la volonté est, pour certains agriculteurs, de s’approprier le moindre lopin de terres agricoles disponible :

" Certains en arrivent à se battre pour racheter des parcelles. Des agriculteurs qui vont partir à la retraite dans cinq ou six ans, ont déjà été contactés par des plus gros exploitants voulant racheter leur terrain. Nous ne sommes pas du tout dans cette logique. "

 Se pose enfin le problème du capital de départ pour reprendre une exploitation. Cela implique un lourd investissement pour un jeune qui démarre. Le couple Colle-Savastano serait plutôt dans une logique d’accompagnement vis-à-vis de ce type d’acquéreur:

" On s’y prend à l’avance car on voudrait trouver des solutions pour qu’un jeune qui reprend ne croule pas immédiatement sous les dettes. Il aura un crédit à rembourser pendant très longtemps. On serait prêts, au début, à le guider et à lui donner des conseils pour l’aider à démarrer. Il existe aussi un système de parrainage. "

La lourdeur administrative dans le domaine agricole est aussi une contrainte à prendre en compte. " Les papiers, c’est tous les jours… Il y a plein de normes qui se rajoutent chaque année, que ce soit avec la PAC, la Chambre d’agriculture, les labels bios… On y passe des heures, mais on n’a pas le choix… "

" Si on me fait une offre à un milion d’euros, je prends ma retraite tout de suite ! " 

Le couple garde bon espoir de transmettre rapidement son exploitation. Didier Colle, avec son pragmatisme et son bon sens paysan, conclut avec une pointe d’humour : "De toute façon, le repreneur sera plus jeune que moi " !

Jérémy Virot

Le témoignage d'un agriculteur en grande difficulté

Patrice DouixAgriculteur à la retraite (Blesle), membre de la Confédération paysanne et du groupe agricole à dASA:

" Un agriculteur qui travaille 365 jours sur 365, ça n'existe plus"

En tant qu’ancien agriculteur, comment s’est déroulé le processus de transmission de votre exploitation ?Les choses se sont faites assez facilement. Nous étions en Gaec à trois avec ma sœur et ma femme. Ma sœur a pris sa retraite et ma fille l’a remplacé. On a pris un jeune à l’extérieur qui s’est installé et mon neveu nous a rejoints. Ça s’est étalé dans le temps.

Quels sont les freins à la transmission agricole ?Déjà le contexte et l’ambiance actuelle ne sont pas favorables. Les manifestations récentes du monde agricole en témoignent. D’autre part, les politiques agricoles incitent à la production maximum, donc à l’extension des fermes plutôt qu’à l’installation de nouveaux exploitants.

Quelles solutions préconisez-vous ?Il faudrait avoir des politiques agricoles tournées plus vers le maintien de l’activité économique à travers le territoire, plutôt que sur la production destinée à l’exportation.

Quelles mesures concrètes faudrait-il mettre en place ?Il faut plafonner les aides à l’actif agricole, notamment les aides à l’hectare. Plus vous louez d’hectares et plus vous avez d’aides. Instaurer un plafond limiterait la course à l’hectare ! En plus, c’est de l’argent public.

Pour un jeune exploitant qui voudrait se lancer, l’apport en capital peut être un obstacle…Ça peut l’être, mais il n’y a pas que ça. Il faut aussi combattre certaines idées reçues sur le temps de travail : un agriculteur qui travaille 365 jours sur 365, ça n’existe plus. Par contre sur la rémunération, il faut que les agriculteurs puissent vivre convenablement de leur activité.Patrice Douix, ancien agriculteur à Blesle

Propos recueillis par Jeremy Virot

Le programme des prochaines rencontres de dASA : aujourd’hui De 18 h 30 à 20 h 30, café installation en partenariat avec Haute-Loire Bio sur « L’autonomie sur les fermes, une affaire collective !  », à La Barthe Domeyrat (inscription au 06.33.66.64.80 ou 07.83.70.68.18).lundi 17 juin De 14 à 17 heures, visite de la ferme à Autrac, en partenariat avec Terre de Liens Auvergne (inscription au 06.33.66.64.80 ou 06.32.30.59.22)