Après des années de débats houleux, voire violents, en Grande-Bretagne sur le sujet des transgenres, un rapport signé d’une pédiatre de renom a permis une prise de conscience de toute la classe politique britannique et contribué à réhabiliter les positions de féministes comme JK Rowling. Rédigé par le Dr Hilary Cass, le document de près de 400 pages lève le voile sur des pratiques médicales contestables menées sur des enfants et adolescents souffrant de dysphorie de genre, et dénoncées depuis des années par d’anciens patients et leur famille.

En 2009, moins de 50 enfants consultaient le service de santé publique spécialisé dans les troubles d’identité sexuelle, le fameux GIDS (Gender Identity Development Service). En 2015, ils étaient quinze fois plus ; et en 2021, le chiffre avait centuplé. Or dès 2010, sous la pression d’activistes transgenre, le GIDS décidait d’abaisser de 15 à 10 ans l’âge auquel des inhibiteurs d’hormones pouvaient être prescrits aux enfants.

Dix ans plus tard, une enquête de Sky News révélait que 35 pédo-psychiatres avaient démissionné du service en l’espace de quelques années et que des traitements hormonaux radicaux étaient prescrits après seulement deux rendez-vous avec les jeunes patients. Une ancienne employée, devenue lanceuse d’alerte, révélait l’absence de prise en charge psychologique des enfants "alors que nombreux sont les jeunes patients à avoir subi des traumatismes qui mériteraient tout d’abord une thérapie par la parole". Lorsque certains pédo-psychiatres remettaient en question la prescription d’inhibiteurs hormonaux, "des collègues les accusaient d’être transphobes".

Nécessité d’identifier les sources possibles du malaise

Le rapport du Dr Hilary Cass, ancienne présidente du Royal College of Paediatrics, est le premier à se pencher sur la question du traitement médical de la dysphorie de genre et sur l’état de la recherche dans ce domaine. Cette spécialiste estime que la dysphorie de genre peut être le révélateur de troubles mentaux et être associée à l’anorexie, la dépression mais également l’autisme. Il convient donc d’identifier la source du malaise avant toute intervention médicale aux effets irréversibles.

Le rapport Cass a non seulement créé un électrochoc parmi les dirigeants politiques britanniques, libéré la parole pour tous ceux qui évitaient le sujet de peur de se faire traiter de transphobe, mais aussi réhabilité les positions de nombreuses féministes britanniques, victimes depuis des années de menaces et de campagnes d’intimidation sur les réseaux sociaux de la part de militants trans.

Parmi ces féministes, les éditorialistes du Guardian Suzanne Moore et Hadley Freeman, ou encore l’universitaire et philosophe Kathleen Stock, qui ont été poussées à la démission pour avoir, en substance, estimé publiquement que la biologie est une réalité à laquelle on ne peut échapper. Autrement dit, si le genre est une construction sociale, le sexe est une réalité biologique incontournable. Une position qu’a également défendue l’auteure JK Rowling, la créatrice d’Harry Potter. Mais les militants trans jugent ce type de propos transphobes. Pour eux, ces féministes sont des TERF (Trans-exclusionary radical feminist), des féministes radicales excluant les personnes trans et, à ce titre, doivent être combattues et vaincues.

Climat de censure

Exemple parmi d’autres, dès les années 2010, Suzanne Moore, chroniqueuse vedette du journal de gauche The Guardian, voit ses articles peu à peu censurés dès qu’elle évoque le sujet des transgenres. Et quand, en 2020, elle questionne comment des athlètes femmes et des femmes trans peuvent réellement concourir équitablement dans la même catégorie, une collègue transgenre démissionne en signe de protestation et entraîne à sa suite 338 employés du quotidien à signer une lettre dénonçant la transphobie de Suzanne Moore. Menacée de mort sur les réseaux sociaux, la journaliste finit par jeter l’éponge et démissionner. Comment continuer à débattre dans un tel climat de censure, demande-t-elle. "Pour résumer, dit-elle, j’estime que l’on ne peut échapper à la biologie, que des espaces réservés aux femmes doivent être préservés, que se considérer femme alors qu’on est né homme est un sentiment qui doit être respecté mais ne constitue pas une réalité, et que les enfants ne doivent pas recevoir de traitement d’inhibiteurs hormonaux."

JK Rowling, elle, défend surtout l’existence d’espaces réservés aux femmes, notamment les femmes victimes de violence conjugale, et dénonce que des femmes trans ayant commis des crimes se retrouvent à purger leur peine dans des prisons de femmes. Dès la fin des années 2010, elle s’insurge également contre "l’effacement de la femme" dans les brochures du service de santé britannique. Afin d’être plus inclusifs et ne pas froisser les transgenres, le NHS parle dans ses prospectus de "personnes qui ont leurs règles" ou "des personnes qui donnent naissance aux enfants". JK Rowling ironise sur Twitter : "Je suis sûre qu’il existait autrefois un terme pour désigner ces personnes qui ont des règles. Aidez-moi. Fammes ? Fommes ? Fimmes ?" Derrière l’ironie, elle veut rappeler que la biologie est une réalité qu’aucune idéologie ne saurait effacer.

Quand l’écrivaine nigériane féministe Chimamanda Ngozi Adichie, de passage à Londres en 2017, déclarait : "une femme trans est une femme trans", son opinion lui valut, selon ses termes, une véritable "censure sociale". Pour les militants trans, il aurait fallu qu’elle dise qu’une femme trans est une vraie femme. "Je ne me reconnais pas dans le jargon et encore moins dans cette orthodoxie langagière d’universitaire que l’on voudrait que j’utilise et qui ne vise qu’à clôturer tout débat", expliqua-t-elle plus tard.

L’avenir dira si Keir Starmer, probable futur Premier ministre britannique dans quelques mois, ira jusqu’à remettre de l’ordre dans les universités britanniques, dont les associations transgenres empêchent régulièrement la tenue de débats contradictoires sur le sujet. En attendant, le Parti travailliste, qui a souvent penché du côté des activistes trans, a annoncé qu’il suivrait toutes les recommandations du Dr Cass une fois au pouvoir. Signe que ce rapport a déjà remis quelques pendules à l’heure outre-Manche.